25/10/2005

En délicatesse avec ses racines : « Brooklyn Boy » au Centre culturel

Un seul pont relie le prestigieux Manhattan, branché et friqué, où l’humour incarné par Woody Allen est sophistiqué et dévastateur, et Brooklyn, quartier juif aussi, mais populaire.
Eric Weiss, le garçon de Brooklyn du titre, a échappé à ce milieu, qui ne le rattrape que lorsque, devenu un écrivain à succès, il revient voir son père mourant. L’intrigue de son livre se situe dans le quartier, et il a beau avoir changé les noms et les détails : ses proches s’y reconnaissent. Ils lui en veulent, moins de les avoir utilisés comme modèle que d’avoir pris suffisamment de distance pour les regarder et les représenter. Un artiste qui s’exile ne paie le vrai prix de son art que lorsqu’il rentre à la maison.
Les personnages qui l’entourent, son père, l’ami d’enfance, son épouse qui le quitte, la femme de la maison de production qui a acheté les droits cinématographique de son livre, tous possèdent la capacité, qu’illustre si souvent la littérature comique juive, de fixer leur attention sans modération sur la personne en face, mais sans la moindre tendresse pour son amour‑propre. Sa tante, en le voyant enfin invité vedette d’un programme littéraire à la télévision, remarque uniquement qu’il ne porte pas de cravate.
La difficulté avec une pièce qui appartient à une culture si typée est que non seulement les mots mais aussi le gestuel sont en traduction. Le seul moment où la version originale ressuscite est quand Stéphane Freiss, qui joue Eric, met un disque de musique Yiddish dans le demi‑noir d’un appartement en déménagement, et danse, saute, tournoie comme une toupie, avec une vitalité sans illusion.
Cette réflexion sur l’écrivain qui, en communiquant avec ses lecteurs, élève une barrière à la communication avec ses intimes, évoque un dilemme universel. Dans l’obscurité de la salle, elle devait atteindre particulièrement un spectateur qui serait en délicatesse avec ses propres racines, parce qu’il les a fuies ou reniées ou perdues ou, et c’est le plus risqué, parce qu’il a écrit un livre sur le sujet.
L’Union

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