15/02/2006

Jeannine Haibe et l’éruption des mots

Quand Jeannine Haibe parle, elle ne choisit pas chichement ses paroles pour serrer une plate réalité. Elle débite les mots plutôt comme un chien berger, vif et nerveux, qui aurait pris à tâche de guider un troupeau à travers un champ. Il court, saute, mordille les flancs, revient sur ses pas, reprend, trie ses charges, se ravise, fait des cercles autour d’elles, pour les parquer enfin dans l’enclos. Souffle. Le travail est fait, les mots sont dits.

Jeannine est née, tout juste, en Belgique. Ses parents belges sont en France, à Bucy le Long, d’où sa mère rentre chez ses parents pour accoucher. Son père monte chaque jour à Vregny, travailler comme contremaître à la ferme. Plus tard, la famille s’y installe, dans la maison qu’elle habite aujourd’hui.


« Grâce à ma mère, je savais lire avant d’aller à l’école. » Après la communale, et les Dames de la Croix, qui enseignent dans ce qui est maintenant le Lycée St Rémy, elle compte « partir pour ne jamais revenir ». Elle réussit à entrer à l’Institut des Sciences Politiques à Paris. « Je ne faisais que bosser. » En fille d’ouvrier, elle n’était pas dans son monde : « D’abord, je n’avais pas les fringues. »


Elle trouve un travail dans la formation continue, et fait son premier achat : une voiture.


En 1975, Jeannine part boursière à l’université de Columbia à New York, obtient son Master of Business Administration, et travaille dans la publicité. Elle sort beaucoup, marche de long en large. « Je me rattrapais. »


Rentrée en France, elle reste dans la publicité. « L’exigence de produire était moindre qu’aux Etats Unis, mais à nouveau je n’étais pas dans mon monde. » Elle s’échappe dans le travail.


A trente-six ans, c’est « la crise existentielle ». Elle quitte la pub, enseigne ce qu’elle avait appris, en transmettant aux chercheurs d’emploi des « stratégies de communication » pour se vendre. Et commence à écrire. « C’était l’éruption de lave. » Enfin elle déploie ses ailes.


Il y a dix ans, elle rentre au pays. Depuis, elle gagne sa vie en faisant des « bilans de compétences », et anime des ateliers d’écriture.


Jeannine admet à peine avoir été « bonne en tout au lycée », sa mention au bac, les félicitations du jury aux Sciences Po, et son MBA, un peu gênée d’être devenue simple artisane de l’écriture. Voilà une conventionnellement brillante carrière écrasée sous cette éruption des mots.


A ses ateliers, il ne s’agit ni de régimenter des phrases en surveillant son orthographe, ni de poétiser dans une ambiance éthérée. Ils font penser davantage aux réunions où chacun apporte son plat, et dont le plaisir est le déballage des tartes, des salades, des pâtés et des desserts onctueux. Chacun, légitimement fier de son apport, se jette aussi goulûment sur les bonnes choses des autres. Jeannine Haibe tient le fouet, pour faire monter la mayonnaise.
L’Union

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