16/07/2006

Patrick Dupond et des moments d’éternité


Leila da Rocha, volcan de la danse à Soissons – son association ne s’appelle-t-elle pas « Kdanse Etna » ? – sait qu’elle ne peut pas tout arrêter pendant deux mois en été. « Certains de mes danseurs pensent devenir professionnels, et ils doivent danser tous les jours. » Elle a organisé un stage, animé par trois danseurs connus : Pénélope pour le « New style », Emilie Martial pour le jazz, et surtout Patrick Dupond, longtemps danseur étoile à l’Opéra de Paris, pour le ballet classique. Leïla, qui prend des cours au Centre du Marais à Paris où il enseigne, lui a demandé. Il a accepté.
Dans son cours il apprend aux élèves des pas, des enchaînements, mais ses paroles vont bien plus loin que les consignes. Il les fait rire, et pleurer. Avec une foule d’anecdotes (y passent Plissetskaïa, Béjart), de railleries et d’encouragements, il fait passer une vision de la danse, de ce qu’est le spectacle. Il avertit que l’énergie, qui peut amener à tout, doit être canalisée : « Sinon tu pars dans tous les sens, tu finis en morceaux à vingt-six ans. » Devant quelques larmes, il console, puis fait remarquer que « la danse, c’est pas pour pleurer ; on pleure après, mais de bonheur. » A des élèves qui restent en retrait il tonne « Ne dansez pas au mur, il ne répondra pas. Dansez à moi, je vous répondrai. » Il ne se sert de sa célébrité que pour y puiser de l’autorité. Il est même capable de tourner en dérision son rôle de star internationale, en devisant  en anglais, en russe, avec des mimiques baroques.
Pour danser, il ne suffit pas d’esquisser quelques gestes gracieux. Si l’athlétisme est la prose de l’effort corporel, la danse est sa poésie. En plus, le ballet classique exige de gommer tout signe de difficulté. « La danse élève. Les épaules et la tête sont comme un portemanteau, accroché en l’air. »
Quelle différence entre danser et enseigner la danse ? « Quand vous dansez, vous transmettez un message, alors qu’en enseignant vous apprenez la façon de transmettre ce message. » Il exécute un mini-ballet pour illustrer son propos.
Que voit-il en se scrutant dans les murs miroirs ? « Ce qui ne va pas ». L’auto-admiration n’est pas pour lui. « Sauf quelques moments, quelques mouvements, en quarante ans de vidéos. » Il s’agit de ce qu’il appelle, pendant le cours, « ces moments d’éternité », lorsque c’est parfait, le saut ou l’arabesque, et que le temps s’arrête. Les élèves sont silencieux devant cette promesse.
Patrick Dupond intrigue, comme chaque fois qu’un visage célèbre se présente nu, moins lisse, plus humain. A la cinquantaine, son corps est presque décharné. Danseur mais aussi visionnaire de la danse, intransigeant, extravagant, généreux, parfois absurde, il incarne la puissance qui seule fait atteindre les sommets.
L’Union

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