09/07/2006

Marie Miranda traverse le pont

Après près d’un siècle, la Grande Guerre reste une préoccupation du pays soissonnais. Les plaies infligées à ses corps, à ses esprits, à ses terres et à ses pierres n’ont jamais guéri. Il est naturel que les artistes continuent de panser ces blessures, en cherchant un sens à ce qui à détruit le sens.
 « Une question me tracassait » dit le peintre Marie Miranda. « Comment vivait un jeune homme le départ au front, arraché à ses parents, à sa femme et ses enfants, ou à une fiancée ? Les lettres envoyées aux familles étaient comme un pont entre les deux mondes. » Elle a contacté Marie-Joëlle Vandrand, qui avait publié les centaines de lettres écrites par son arrière-arrière-grand-oncle Elie, paysan auvergnat tué à vingt-trois ans à Verdun en 1916.
Ceux qui suivent le travail de Marie Miranda connaissent son goût pour les vieux papiers, découpés, peints, collés pour faire ses tableaux. « A ma surprise, l’auteur a accepté ma proposition, et m’a envoyé une dizaine de lettres. » Mais à les voir, l’émotion a été trop forte pour qu’elle touche à l’intégrité de ces feuilles, et elle les a scannées. Ces œuvres sont exposées actuellement à la bibliothèque de Soissons, débordant des espaces habituellement réservés aux expositions pour occuper une bonne partie du rez-de-chaussée.
Les couleurs ardentes de Marie Miranda s’y retrouvent, mais plusieurs de ces tableaux dépassent la délicatesse qu’on lui connaît pour traiter le mélange intime de sauvagerie et de solidarité, de fracas et de silence, des temps de guerre. Des noirs et des rouges acérés traduisent la fragmentation qui a atteint ces jeunes hommes.
En utilisant des documents, Marie Miranda fait le pont entre l’écriture et la peinture. Les mots, avec leur promesse de lucidité, se mettent dans ses intérieurs, ses paysages, ses natures mortes. Le spectateur peut se pencher pour les déchiffrer, mais ce qui est écrit n’est guère lisible. L’artiste fait son travail en forçant son public à s’arrêter de raisonner, et à reconnaître la primauté de l’esthétique. 
Plusieurs des lettres originales sont exposées. L’écriture de la plus ancienne est un modèle de ce qui était enseigné dans les écoles de la République, mais elle devient ensuite plus libre, plus forte, plus adulte, alors qu’Elie grandit, vit la guerre, et s’approche de sa mort, destiné à rester oncle, pour n’avoir pas eu le temps de devenir père.
L’Union

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