06/04/2005

L’homme invisible au Centre Culturel

Primée aux Molières, « L’hiver sous la table », comédie de Roland Topor créée en 1996, s’est jouée au Centre Culturel à guichets fermés.

Dragomir (Dominique Pinon) vient d’un de ces pays européens de l’Est dont on a du mal à retenir le nom, encore moins où il se trouve sur la carte. Florence (Isabelle Carré) traduit un chef d’œuvre écrit dans la langue de ce pays, dont on suppose, à en entendre des extraits, qu’il ne sera pas parmi les Meilleures Ventes de la Semaine. Lui, sans logement, trouve asile sous la table de la traductrice, qui a besoin d’un sous‑loyer. Il exerce son métier de cordonnier avec vue imprenable sur les belles jambes de sa bienfaitrice, tapant à la machine au‑dessus. Entre le nécessiteux et la nécessiteuse, l’arrangement est parfait. La conventionnelle Raymonde (Guilaine Londez), d’abord scandalisée par une situation peu bienséante, rend visite au locataire à genoux avec un aplomb tout bourgeois.
L’instinct humanitaire est satisfait. Mais l’humain, c'est-à-dire le désir, est écarté. Florence est affriolante, enjouée, vivace, ouverte. Elle étend ses jambes, cherche un bouton perdu dans son soutien-gorge devant son locataire. Innocente ? Elle est capable de repousser les avances de son éditeur (Eric Prat) avec une fermeté expérimentée. Plutôt inconsciente : elle ne peut pas voir, en ce clandestin objet de sa gentillesse, un mâle. Drago l’homme reste invisible.
Attiré par les jambes qui partagent son intimité, les pieds chaussés de talons hauts, hameçons auxquels les hommes se ferrent si souvent, Drago se cantonne dans un respect humble – à la différence de son cousin violoniste Gritzka (Liviu Badiu), venu le rejoindre et qui regarde sous la jupe, le vilain.
La pièce trouve une fin heureuse par une pirouette qui frise l’indécence : ayant quitté son sous‑logement, le réparateur devient dessinateur de chaussures, riche et célèbre. Il revient voir sa logeuse – qui se jette dans ses bras friqués. La réussite rend enfin sa visibilité à Drago.
Les pièces de Topor, comme ses dessins, utilisent la dérision et les fantasmes, pour faire rire et pour déranger, mais aussi pour contester les puissants, qui refoulent sous la table tout ce qui ne s’accorde pas à leur vision du monde.
l’Union

Les acteurs après le spectacle : (de gauche à droite) Isabelle Carré, Eric Prat, Dominique Pinon, Guilaine Londez et (devant) Liviu Badiu.

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