17/11/2005

Danser jusqu’à ce que mort s’ensuive

« Pour faire face à un géant russe, j’ai cherché une grande figure de la culture française. » Régis Obadia explique ainsi son choix de Baudelaire comme inspiration de « Réversibilités », la ballet qui précède « Le sacre de printemps » d’Igor Stravinsky au centre culturel. Dans cette première partie, les jeunes danseurs de la compagnie Obadia, presque tous russes, réussissent à devenir des objets ballottés par des forces qui jouent avec leurs corps, les jettent en l’air, par terre, les font virevolter. Même la sexualité est un spasme parmi d’autres.
Après l’entracte, le public, qui a dû se retirer sur les paliers et les escaliers menant à la grande salle, le temps qu’un décor métallique soit installé, et du sable noir étalé sur le plateau, retrouve les danseurs pour le « Sacre du printemps ».
Sa partition, comme son sujet, ont fait un tel scandale à la création en 1913 qu’un journal du lendemain titrait « Le massacre du printemps ». La musique ne ménageait pas des oreilles habituées aux rythmes et tonalités conventionnels, et le sacrifice orgiaque d’une jeune fille était loin des intrigues éthérées des grands ballets classiques.
La moisson est le moment fort de la communauté campagnarde, garantie de sécurité alimentaire ; mais c’est au printemps que le pari est lancé, avec tant d’incertitude que des hommes primitifs, soudés à leurs terres, ont pu croire que, pour que la semence renaisse dans la terre d’été, du sang humain doit être versé.
Les danseurs se rassemblent pour ce rite, en passant du bal de campagne, avec les mâles qui rôdent en toisant des partenaires potentiels, à la fureur d’un accouplement destiné à faire plier les divinités fécondes. La force de l’homme et la grâce de la femme entrent en collision avec la force de la femme et la grâce de l’homme, jusqu’à l’effondrement de l’élue.
La mécanisation a exilé l’agriculture de la communauté. Mais une ville de marché comme Soissons, dont la vie dépend encore de sa campagne, n’est pas si loin que ça de ce geste du semeur. Chaque année, il exprime l’espoir de survie. Ce spectacle de danse touche à quelque chose de plus perturbant que la simple jouissance chorégraphique. 
L’Union




Tachés par le sable de scène, les danseurs après le spectacle.

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