19/11/2005

Mime : en attendant Avner

Ce qu’aime faire le chapeau d’Avner, c’est narguer son maître. Au lieu de rester tranquille sur la tête, il tombe, il roule, il volète. Il se met en haut d’un bâton. Avner, qui tient le bâton, a beau tendre le bras, sauter, monter même sur une chaise, ce chenapan de chapeau reste insolemment hors de portée. Avner n’arrive à le remettre sur sa boule qu’au prix de contorsions, pirouettes, jonglages. Chaque fois, le public applaudit sa prouesse.
Car l’exploit le plus étonnant de ce comique américain, mime et prestidigitateur, qui a commencé sa tournée française à Soissons, et qui a tant de mal à gérer le quotidien des objets qui l’entourent, est d’avoir mis son public dans sa poche dès l’entrée en scène. Des vagues de rire traversent la salle, se calment, se reprennent, gonflent et ne s’arrêtent qu’à regret. Quand il fait monter une spectatrice sur la scène, il réussit à faire rire sans la ridiculiser. Son humanité est aussi grande que son talent pour ce qu’il appelle « la comédie physique ».
Alors que le mime Marceau se mesurait contre l’atmosphère qui l’entourait, Avner est confronté à la contrariété du monde matériel. Entre ses mains tout se disloque, chute, saute : il faut le voir ramasser des cigarettes éparpillées par terre pour comprendre à jamais le sens du mot « maladroit ». Soudain, encore par contrariété, les accessoires, de bourreaux deviennent complices. Avner et sa salle jubilent.
Puis au milieu de ses tribulations, et des rires qu’elles suscitent, une question s’insinue : où tout cela mène‑t‑il ?  « Quelqu’un en Irlande m’a dit que mon spectacle c’est « En attendant Godot » avec des tours de passe‑passe. » dit-il après le spectacle. Au sujet de ses ateliers pour clowns, il écrit : « Nous attendons tous celui dont l’autorité démasquera l’imposteur que nous croyons être. » Voilà d’où vient la profondeur de son propos.
Son chapeau (encore lui !) ressemble pour moitié à un couvre‑chef de juif orthodoxe. C’est l’autre moitié, celle que partagent juifs et goyim (non‑juifs), qu’explore Avner. Privés de parole, ses agitations, ses agacements et ses victoires cachent en fait le silence mortuaire qui menace de tomber.
Avner finit par dîner devant les spectateurs, d’une pile de serviettes en papier. Il en mange une, deux. Le mystère grandit. Après une trentaine, il se couvre le visage d’un de ces papiers, avec des trous pour les yeux et la bouche, le fait tenir par de fausses lunettes avec un gros nez, puis le grignote, en le tirant avec ses lèvres, jusqu’à découvrir son visage, rendu caricatural par le masque. Le comique et le tragique juifs – et humains – se rejoignent. Rire pour ne pas pleurer, c’est cela l’expression, n’est‑ce pas ?
L’Union

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