21/12/2005

Dominique Bourquencier, le militant entravé


Dominique Bourquencier vit sur les terres de ses ancêtres. Là ou il a construit sa maison, à Clamecy, sur le plateau au‑dessus de Soissons, son grand‑père cultivait les champs, taillait la pierre – et cueillait le raisin pour son vin. « Ma maison c’est ma sueur » dit Dominique.
Quand il parle de son village, de la fermeture de l’école et du café, du départ de la boulangerie, du manque de transports publics, l’histoire de cette perte d’autonomie prend un accent particulier.
Depuis 1988 Dominique souffre d’une maladie neuro‑musculaire évolutive, sur laquelle aucun médecin n’a pu mettre un nom. C’est après s’être cassé le pied en 1988 qu’il s’aperçoit du dysfonctionnement de ses jambes, et qu’il entre dans un labyrinthe médical, et un tunnel qui rétrécit chaque année. Ses trois enfants ont alors dix, huit et cinq ans.
Il reçoit ses visiteurs bloqué dans un fauteuil, une ceinture autour des jambes comme une entrave, ses mains encore agiles mais incapables de se détacher des accoudoirs, car ses bras se sont atrophiés.
Il a appris le métier de « modeleur mécanicien en bois », mais a pratiqué d’autres. Après un an de monuments funéraires, il va à la verrerie de Vauxrot : une vingtaine d’années à la fabrication, et depuis 1989 au service du personnel. En 2002 il doit s’arrêter.
Il devient bénévole à l’Association des Paralysés de France, y prend des responsabilités, milite contre l’inaccessibilité des lieux publics aux handicapés. Même les organisateurs d’un forum sur la santé peuvent oublier qu’une seule marche pose un problème pour un fauteuil de 240 kilos.
Dominique a un sourire affable ; mais il sait l’utilité d’être hargneux.  Racontant des jeunes qui rigolent, ou les contrôles tatillons de la Sécurité Sociale, ses traits se durcissent, en un regard qui doit faire baisser les yeux aux uns – « Ayez un peu de respect ! », ou embarrasser les autres, les fonctionnaires. Mais il n’est pas râleur : cela prend trop de temps.
 « Je me couche tôt. Je regarde la télé ; ou elle me regarde. » Ce doit être d’avoir tant de messages à passer, et l’incertitude d’en avoir le temps, qui le rend concis.
Sa femme Rosa – le prénom vient du côté de son père yougoslave – a quitté son travail pour s’occuper de lui. « C’est petit à petit, les choses qu’il ne peut plus faire. J’a  i le temps de m’habituer. » Elle admet que Dominique n’est pas toujours un modèle de douceur et de patience dans son cadre domestique. C’est là qu’il peut se révolter, puis repartir sérieux à la tâche.
Les handicapés comme Dominique Bourquencier donnent une impression d’habiter pleinement, intimement leur corps – alors qu’une physique saine est souvent traitée avec autant d’inconscience qu’un banc sur lequel on s’assied.
Dernière question : comment envisage‑t‑il l’avenir ?  « Je n’envisage pas l’avenir. »
L’Union

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