Dominique
Bourquencier vit sur les terres de ses ancêtres. Là ou il a construit sa
maison, à Clamecy, sur le plateau au‑dessus de Soissons, son grand‑père
cultivait les champs, taillait la pierre – et cueillait le raisin pour son vin.
« Ma maison c’est ma sueur » dit Dominique.
Quand il parle de son village, de la fermeture de l’école
et du café, du départ de la boulangerie, du manque de transports publics, l’histoire
de cette perte d’autonomie prend un accent particulier.
Depuis 1988 Dominique souffre d’une maladie neuro‑musculaire
évolutive, sur laquelle aucun médecin n’a pu mettre un nom. C’est après s’être
cassé le pied en 1988 qu’il s’aperçoit du dysfonctionnement de ses jambes, et qu’il
entre dans un labyrinthe médical, et un tunnel qui rétrécit chaque année. Ses
trois enfants ont alors dix, huit et cinq ans.
Il reçoit ses visiteurs bloqué dans un fauteuil, une
ceinture autour des jambes comme une entrave, ses mains encore agiles mais incapables
de se détacher des accoudoirs, car ses bras se sont atrophiés.
Il a appris le métier de « modeleur mécanicien en
bois », mais a pratiqué d’autres. Après un an de monuments funéraires, il va
à la verrerie de Vauxrot : une vingtaine d’années à la fabrication, et
depuis 1989 au service du personnel. En 2002 il doit s’arrêter.
Il devient bénévole à l’Association des Paralysés de
France, y prend des responsabilités, milite contre l’inaccessibilité des lieux
publics aux handicapés. Même les organisateurs d’un forum sur la santé peuvent
oublier qu’une seule marche pose un problème pour un fauteuil de
240 kilos.
Dominique a un sourire affable ; mais il sait
l’utilité d’être hargneux. Racontant des
jeunes qui rigolent, ou les contrôles tatillons de la Sécurité Sociale, ses
traits se durcissent, en un regard qui doit faire baisser les yeux aux uns – « Ayez
un peu de respect ! », ou embarrasser les autres, les fonctionnaires.
Mais il n’est pas râleur : cela prend trop de temps.
« Je me
couche tôt. Je regarde la télé ; ou elle me regarde. » Ce doit être
d’avoir tant de messages à passer, et l’incertitude d’en avoir le temps, qui le
rend concis.
Sa femme Rosa – le prénom vient du côté de son père
yougoslave – a quitté son
travail pour s’occuper de lui. « C’est petit à petit, les choses qu’il ne
peut plus faire. J’a i le temps de m’habituer. »
Elle admet que Dominique n’est pas toujours un modèle de douceur et de patience
dans son cadre domestique. C’est là qu’il peut se révolter, puis repartir
sérieux à la tâche.
Les handicapés comme Dominique Bourquencier donnent une
impression d’habiter pleinement, intimement leur corps – alors qu’une physique
saine est souvent traitée avec autant d’inconscience qu’un banc sur lequel on s’assied.
Dernière question : comment envisage‑t‑il
l’avenir ? « Je n’envisage pas
l’avenir. »
L’Union
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