15/03/2008

Zhu Xiao Mei sur une île déserte


C’est comme chaque fois à l’Arsenal. Avant un concert, les conversations fusent. L’actualité fait qu’on entend parler surtout de « ballottage », « fusion », « 2e tour ». Puis les lumières s’estompent, la parole s’efface, et nous entrons dans un autre monde.
La pianiste chinoise Zhu Xiao Mei, en tunique et pantalon de soie sombre, monte sur l’estrade. Elle paraît presque gênée, mais prête à surmonter sa gêne pour pouvoir s’asseoir et partager Bach avec nous.
Elle jouera les variations Goldberg – en réalité une chaconne, car ce n’est pas la mélodie mais la progression harmonique de la ligne basse qui relie ces moments musicaux. L’histoire dit que, dans son camp de rééducation pendant la Révolution culturelle, elle jouait de mémoire l’œuvre sur un instrument délabré aux cordes en fil de fer.
Elle se penche sur les touches, apparemment absente à tout sauf Bach, mais dit après le concert avoir été sensible au silence attentif dans la salle. On dit « jouer par cœur », mais c’est plutôt ses doigts qui doivent porter en eux les cinquante minutes de musique. Les Goldberg sont écrites pour un clavecin à double clavier, et sur un piano les mains se croisent vertigineusement, ou même se superposent.
La symétrie de la composition, son recours à une seule clef, unifient le foisonnement de formes, de mélodies, de couleurs. Le retour de la lente aria à la fin fait penser que la beauté revient toujours à elle-même, pour reprendre inépuisablement son chemin.
 Rappelée par la salle, Zhu Xiao Mei joue un fragment de Schubert, dont les glissements harmoniques s’opposent délicieusement aux Goldberg, comme un digestif qui secoue.
Avant ce récital, on pouvait imaginer survivre sur une île déserte en rejouant le seul enregistrement des Goldberg. Mais le bonheur d’entendre émerger puis disparaître à jamais chaque note devant vous donnerait furieusement envie de les faire jouer une seule fois sur la plage par Zhu Xiao Mei, qui repartirait en tournée, vous laissant sans rien, mais comblé.
L’Union

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