07/03/2013

La fonction archaïque du conteur

Dans une pièce de théâtre, un film de fiction, un téléfilm, des acteurs jouent une histoire à regarder. Le conteur, en revanche, remplit une fonction plus archaïque, tenant ses auditeurs par le pouvoir de la seule parole, et des images qu’elle dévoile.
    « Abraham » de Michel Jonasz ouvre le Printemps des conteurs en racontant la vie d’un aïeul. La salle du Mail était pleine à ras bord, d’autant plus que l’entrée était gratuite.
Michel Jonasz fait plonger Abraham dans « la nuit profonde ».
    L’histoire est ponctuée par les conversations quotidiennes entre deux Juifs dans un village hongrois. Assis sur un banc, le conteur esquisse quelques gestes : tourné vers sa gauche, il est Abraham le Polonais, expansif, bien dans sa peau et sa religion, cantor à la synagogue ; tourné à droite, penché en avant, il est Yanken le tailleur, inquiet, plaintif, qui envie son compagnon et chipote sur les rituels religieux.
    L’émotion déborde partout. La sentimentalité est l’expression excessive d’une émotion ; mais dans ces communautés d’Europe centrale, les sentiments eux-mêmes étaient tellement amplifiées que la barre est mise bien plus haut. Michel Jonasz explose de vitalité, dans la joie d’engendrer des enfants : « Allez, un petit effort, et c’est… le septième ! », dans la peine cachée de les voir partir chercher une vie meilleure. C’est énorme – et toujours juste.
    Les cris et les aboiements de la bande sonore qui précédent l’entrée d’Abraham annoncent déjà l’issue fatale. L’ardeur et les emportements de cette vie communautaire vont être engloutis dans « la nuit profonde, pour toujours et à jamais ».
L'Union

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