A douze ans, Evelyne Huber servait à boire dans le café
que tenaient ses parents à Nancy, à une clientèle pittoresque, souvent dans la
misère. « Mon père leur donnait à manger, il en logeait même dans les
mansardes. »
Enfant de cet agriculteur
devenu cafetier après la guerre, et d’une mère issue de l’immigration
italienne, Evelyne jouait dans la rue avec son petit camarade Patrick, plus ou
moins abandonné. Les enfants des sous‑officiers
qui logeaient en face (« C’étaient des notables pour nous ! »),
n’avaient pas le droit de fréquenter ces « bons à rien du café ».
« Je me suis mariée à dix‑huit ans,
parce que je voulais la vie de famille que je n’avais pas connue ‑- jamais un
repas ensemble. » Avec son mari André, né aussi à Nancy, elle arrive à
Soissons, où il devient associé d’un expert comptable. « C’est là que l’ascension sociale a
commencé. »
Mais en 1989, a dix‑huit ans,
une de leurs deux filles meurt d’un cancer rare, après trois ans de traitement.
« Ma seule prière était d’être avec Sophie à la fin. Et au dernier
moment, à côté de son lit, quand je ne pouvais plus rien faire pour elle, j’ai
senti une présence, une force. »
C’est en reconnaissance de ce
« cadeau énorme », et pour rendre ce qu’avaient apporté les
soignants, les bénévoles, qu’elle devient visiteuse à l’hôpital. Devant le
nombre de patients qui meurent seuls, elle décide de « faire un pas de
plus », et accompagner les personnes en phase terminale. Elle
participe à la création d’une antenne soissonnaise de Jalmalv, « Jusqu’à
la Mort, Accompagner la Vie »
Il s’agit de créer une relation
dans laquelle, même si le sujet n’est jamais abordé, la mort n’est ni cachée ni
niée. Cette acceptation, qui est si difficile pour ses proches, peut apaiser,
même amener la personne accompagnée à ouvrir les yeux sur sa mort ou, tout
simplement, la réconforter. Les accompagnants suivent une formation, pour
apprendre à communiquer dans des situations difficiles, à gérer leurs
réactions, leur propre trouble devant l’inévitabilité de la mort. Ils sont
suivis, partagent leur expérience, se soutiennent. « Il faut respecter
ses limites, agir dans le cadre Jalmalv ».
Evelyne Huber parle avec
douceur, souriante, attentive à la personne en face. Mais sa force est
évidente. Elle la déploie pour organiser
l’association, demander des subventions, entretenir un réseau de soutien.
Parfois, elle a l’air surprise de ce qui lui arrive. « Le petit Patrick
a mal tourné, est devenu proxénète, est allé en prison. Alors que moi, tu te
rends compte… » Ce soin à garder vivant le monde de son enfance explique
son caractère entier, son refus de s’enfermer dans le confort d’une vie aisée,
son ardeur à accueillir autant la peine que le bonheur, la peur que la
confiance, les bas que les hauts, la mort que la vie.
L’Union
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Les commentaires seront vus avant d'être affichés.