Dans un
programme qui propose aussi bien de la musique de chambre que des textes, la
question serait de savoir lequel des deux accompagne l’autre. Mais comme il y a
Beethoven, Bach, Ravel, Debussy et Janacek d’un côté, et Arthur Rimbaud de
l’autre, il est évident que ni la musique ni la poésie n’allait céder
humblement sa place.
Dans la salle sévère de l’Arsenal de Saint Jean des
Vignes, assouplie seulement par son éclairage, le comédien Didier Sandre et le
Quatuor Ludwig ont présenté « L’homme aux semelles de
vent » (comme disait Verlaine de son Rimbaud). Des mouvements de quatuors
de Ravel, Debussy et Janacek, une cavatine de Beethoven et une sarabande de
Bach jettent leur lumière sur des poèmes de Rimbaud, comme eux recadrent la
musique. Beethoven prolonge la calme horreur du « Dormeur du
val » ; le torrent rimbaldien du « Bateau ivre » fait
chavirer le violoncelle de Bach.
Les cinq compositeurs ont bousculé chacun les usages
musicaux pour faire entendre sa voix, et Rimbaud rejetait toute entrave à sa
liberté de parole. Le résultat est que chaque note, chaque mot, chaque phrasé,
chaque vers est inattendu, mais se définit aussitôt comme inévitable. Quelle
idée que de lier les saisons aux châteaux, mais le lien, une fois fait,
appartient à la mémoire partagée : « Ô saisons, ô châteaux !’ ».
Janacek, quant à lui, suit une ligne mélodique à la fois imprévisible et
immédiatement reconnue.
La qualité des interprètes fait même qu’à certains
moments, magiques, la cervelle flanche, et dans la profondeur de l’écoute la
question se pose : « J’écoute se déclamer de la musique, ou se jouer
des vers ? » Ne serait‑ce pas
ce « dérèglement de tous les sens » que s’est donné le jeune Rimbaud
comme consigne de poète ? L’Union
Jean‑Philippe Audoli et Elénid Owen violons, Padrig Fauré alto, Anne Coperey violoncelle, avec Didier Sandre.
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