17/05/2005

Déclamer la musique, jouer les vers


Dans un programme qui propose aussi bien de la musique de chambre que des textes, la question serait de savoir lequel des deux accompagne l’autre. Mais comme il y a Beethoven, Bach, Ravel, Debussy et Janacek d’un côté, et Arthur Rimbaud de l’autre, il est évident que ni la musique ni la poésie n’allait céder humblement sa place.
Dans la salle sévère de l’Arsenal de Saint Jean des Vignes, assouplie seulement par son éclairage, le comédien Didier Sandre et le Quatuor Ludwig  ont présenté « L’homme aux semelles de vent » (comme disait Verlaine de son Rimbaud). Des mouvements de quatuors de Ravel, Debussy et Janacek, une cavatine de Beethoven et une sarabande de Bach jettent leur lumière sur des poèmes de Rimbaud, comme eux recadrent la musique. Beethoven prolonge la calme horreur du « Dormeur du val » ; le torrent rimbaldien du « Bateau ivre » fait chavirer le violoncelle de Bach.
Les cinq compositeurs ont bousculé chacun les usages musicaux pour faire entendre sa voix, et Rimbaud rejetait toute entrave à sa liberté de parole. Le résultat est que chaque note, chaque mot, chaque phrasé, chaque vers est inattendu, mais se définit aussitôt comme inévitable. Quelle idée que de lier les saisons aux châteaux, mais le lien, une fois fait, appartient à la mémoire partagée : « Ô saisons, ô châteaux !’ ». Janacek, quant à lui, suit une ligne mélodique à la fois imprévisible et immédiatement reconnue.
La qualité des interprètes fait même qu’à certains moments, magiques, la cervelle flanche, et dans la profondeur de l’écoute la question se pose : « J’écoute se déclamer de la musique, ou se jouer des vers ? »  Ne serait‑ce pas ce « dérèglement de tous les sens » que s’est donné le jeune Rimbaud comme consigne de poète ?  L’Union

Jean‑Philippe Audoli et Elénid Owen violons, Padrig Fauré alto, Anne Coperey violoncelle, avec Didier Sandre.

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