Jean‑Laurent reçoit dans une maison à
la soissonnaise, murs pignons encadrant le toit, carreaux noirs et blancs dans
l’entrée. Seul le tableau de corvées à répartir montre que la vie y est
collective. La maison est une annexe de la Communauté d’Emmaüs de Rozières‑sur‑Crise.
En 1954,
face à la misère et la crise du logement de l’après–guerre, l’Abbé Pierre crée
ces lieux de vie, chacun devant être « une lumière dans la nuit »
pour les exclus. Ceux qui y vivent portent le beau nom de
« compagnons » ; le recyclage et la revente de ferraille et de
brocante assurent leur indépendance financière, et leur permettent même d’aider
à leur tour le Tiers Monde. Avec une soixantaine de compagnons, Rozières est
une des plus grandes communautés. Pour Jean‑Laurent, le directeur Paul Wagner
« a un cœur gros comme une maison. » Alors comment ne pas en
ouvrir la porte à ceux qui frappent ?
Paul
Wagner, qui connaît Jean‑Laurent depuis 1991, le charge de l’annexe, l’envoie
en mission en Afrique, et accepte ses départs et retours répétés. « Je
suis encore jeune, je cherche du travail. Je ne pose pas encore mes
valises ici. » Avec un CAP de mécanique, il a été ouvrier agricole,
agent communal, cariste diplômé, élagueur, cuisinier, même palefrenier à
Dampleux – « J’ai aimé ces chevaux, ils me calmaient ». Chaque
tentative finit par un renvoi, une fermeture, une fin de saison. Il passe trois
mois dans la Légion Etrangère, dont il porte un tatouage. A présent il fait la
vente à Rozières, et relève chaque offre d’emploi à l’extérieur, le logement
étant à chaque fois un obstacle. Il se résigne presque à « poser ses
valises », dans une autre communauté – mais pas encore.
Difficile
aussi de trouver la stabilité avec ses origines troublées. « Je suis né
à Crépy en Valois « de mère inconnue », alors qu’elle
divorçait de son mari pour être avec mon père. » Les écarts, la
boisson font partie de son histoire, mais sans le détruire. Il parle d’une
femme : « Ca a marché, ça a cassé. ». Un jeune frère,
éducateur spécialisé, le soutient de loin. Son père, dont il a tant appris, lui
a passé ses idées sur la société, loin de celles d’Emmaüs. Mais la pratique de
la solidarité l’a changé, comme une pluie bienfaisante fait pousser des fleurs
sur un terrain caillouteux.
Il choisit de taire son nom de
famille et de cacher son visage (1). Emmaüs construit la dignité de ses
compagnons, mais s’y trouver est souvent perçue comme une déchéance. « Il faut se mettre à la
place de tout le monde. » dit‑il. La leçon de l’Abbé Pierre est passée.
Emmaüs veut « refaire le monde ». En s’investissant dans cet énorme
objectif de solidarité, Jean‑Laurent peut espérer refaire aussi son monde à lui.
L'Union
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