22/06/2005

Jean Laurent et la lumière dans la nuit


Jean‑Laurent reçoit dans une maison à la soissonnaise, murs pignons encadrant le toit, carreaux noirs et blancs dans l’entrée. Seul le tableau de corvées à répartir montre que la vie y est collective. La maison est une annexe de la Communauté d’Emmaüs de Rozières‑sur‑Crise.
En 1954, face à la misère et la crise du logement de l’après–guerre, l’Abbé Pierre crée ces lieux de vie, chacun devant être « une lumière dans la nuit » pour les exclus. Ceux qui y vivent portent le beau nom de « compagnons » ; le recyclage et la revente de ferraille et de brocante assurent leur indépendance financière, et leur permettent même d’aider à leur tour le Tiers Monde. Avec une soixantaine de compagnons, Rozières est une des plus grandes communautés. Pour Jean‑Laurent, le directeur Paul Wagner « a un cœur gros comme une maison. » Alors comment ne pas en ouvrir la porte à ceux qui frappent ?
Paul Wagner, qui connaît Jean‑Laurent depuis 1991, le charge de l’annexe, l’envoie en mission en Afrique, et accepte ses départs et retours répétés. « Je suis encore jeune, je cherche du travail. Je ne pose pas encore mes valises ici. » Avec un CAP de mécanique, il a été ouvrier agricole, agent communal, cariste diplômé, élagueur, cuisinier, même palefrenier à Dampleux – « J’ai aimé ces chevaux, ils me calmaient ». Chaque tentative finit par un renvoi, une fermeture, une fin de saison. Il passe trois mois dans la Légion Etrangère, dont il porte un tatouage. A présent il fait la vente à Rozières, et relève chaque offre d’emploi à l’extérieur, le logement étant à chaque fois un obstacle. Il se résigne presque à « poser ses valises », dans une autre communauté – mais pas encore.
Difficile aussi de trouver la stabilité avec ses origines troublées. « Je suis né à Crépy en Valois « de mère inconnue », alors qu’elle divorçait de son mari pour être avec mon père. » Les écarts, la boisson font partie de son histoire, mais sans le détruire. Il parle d’une femme : « Ca a marché, ça a cassé. ». Un jeune frère, éducateur spécialisé, le soutient de loin. Son père, dont il a tant appris, lui a passé ses idées sur la société, loin de celles d’Emmaüs. Mais la pratique de la solidarité l’a changé, comme une pluie bienfaisante fait pousser des fleurs sur un terrain caillouteux.
Il choisit de taire son nom de famille et de cacher son visage (1). Emmaüs construit la dignité de ses compagnons, mais s’y trouver est souvent perçue comme une déchéance.  « Il faut se mettre à la place de tout le monde. » dit‑il. La leçon de l’Abbé Pierre est passée. Emmaüs veut « refaire le monde ». En s’investissant dans cet énorme objectif de solidarité, Jean‑Laurent peut espérer refaire aussi son monde à lui.
L'Union

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