« Mes
racines sont en Espagne » dit Rafael Damas, « et parfois je
suis surpris de me trouver à Septmonts. » Pour comprendre sa surprise,
il faut remonter jusqu’à 1362, quand Simon de Bucy devient évêque de Soissons,
et construit un château fort de villégiature à Septmonts. Il en reste surtout
le donjon, comme une flèche biscornue d’église, sauf que, au lieu de pointer
vers le Tout‑Puissant, il reflète le refus d’un dignitaire de voir sa demeure
terrestre dominée par le plateau autour.
L’autre date pivot est 1964, quand le père de Rafael,
travailleur saisonnier à Noyant – « il rentrait en Andalousie pour Noël »
‑ propose de s’y établir avec la famille. A seize ans, Rafael est tenté.
« La tentation a été bonne ! » dit‑il aujourd’hui.
Intégré pleinement à la vie d’ici, il reste espagnol par son aspect brun et
trapu, son accent où les v et les b se donnent la main sur la
langue, et sa convivialité qui n’est jamais familiarité.
Il fait son chemin, apprend à lire et à écrire en français.
Après les travaux de ferme il passe au bâtiment. Empêché d’être couvreur par le
vertige, il fait des installations de chauffage. Il se forme jusqu’à pouvoir
prendre en charge la chaufferie de l’hôpital de Soissons, où il cesse
progressivement sa carrière à présent. « Encore deux ans, et j’aurai
plus de temps pour le château. »
Car a côté de ses exploits sportifs, lutte gréco‑romaine,
ceinture noire de judo, présidence des archers, il se voue à la sauvegarde du
château, avec sa femme Madeleine, de la famille d’Auteuil, devenue prudemment
Dauteuil à la Révolution. Présidente des Amis de Septmonts, professeur,
historienne, elle fournit la trame savante de l’enthousiasme de Rafael. Après
leur mariage en 1972, ils font construire leur maison à Septmonts (en pierre de
taille, comment faire autrement ?).
La vie à
Septmonts tend à partir en cercles concentriques du château. En 1926
l’américaine Kate Gleason occupe un temps une maison voisine du château, et
reste bienfaitrice du village. Récemment ses descendants, cherchant un
contemporain de leur grande tante, trouvent la mère de Madeleine. L’échange se
poursuit avec tant d’ardeur le soir chez Rafael que la Gleason Foundation
reprend le mécénat, jusqu’à aider les Amis à racheter sa maison.
Les grands projets et le quotidien d’un monument
historique se poursuivent. Ce qui surprend, au fond, n’est pas qu’un Espagnol
vive dans la vallée de la Crise – tant d’autres immigrés ont quitté leur
lumière méditerranéenne pour travailler au Nord. C’est que cet homme du Sud se
soit tant entiché d’une folie architecturale picarde. Chaque matin, chaque
soir, Rafael ouvre et ferme le portail du parc. C’est comme s’il laissait
sortir le donjon le jour, et le renfermait la nuit.
L’Union
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