Ils voyagent dans une
camionnette de vente ambulante de friandises désaffectée, aménagée pour faire
un grand lit à l’arrière, avec une étagère et de petits placards en
contreplaqué autour. Une amie la leur a prêtée. Elle est garée à l’écart dans
le camping. « Ce n’est pas pour être
seuls, c’est qu’il n’y a pas de prise électrique à cet emplacement, et c’est un
peu moins cher. »
Nina Jobs et Arnulf Zurheide habitent un village près du port Baltique de
Kiel, au Nord de l’Allemagne, avec six autres adultes et deux enfants (dont la
fille d’Arnulf, âgée de trois ans) « et un chien » dans une
vieille ferme. C’est tout ce qui reste de l’exploitation des parents d’Arnulf,
perdue dans la vague de faillites des années 80. « Avant, il y avait quinze fermes dans le village ; il n’y a plus
que deux. »
Les membres de la communauté vivent ensemble et partagent les frais, sans
suivre une ligne spirituelle ni politique. Mais le bourgmestre n’aime pas leur
mode de vie. « Dans notre village de cent quatre‑vingts habitants, il
ne communique avec nous que par lettre recommandée. Pourtant ma famille est là
depuis toujours, alors que lui... » Aux élections prochaines, Arnulf
et Nina entendent voter pour les Verts.
A cause d’un voyage en Amérique Centrale ‑ « Je voulais aller
ailleurs qu’en Europe » ‑ Arnulf est étudiant d’espagnol à
l’Université de Kiel. Nina est en formation pour devenir éducatrice
spécialisée.
Elle est déjà venue en France, à Paris et à Disneyland, mais cette fois avec
Arnulf elle a découvert la Normandie. Ils ont assisté au festival Artsonic à
Briouze, « la musique indépendante, punk, rock, métal, reggae ».
Sous la coiffure flamboyante de chacun, ils bavardent sans réserve, leur
jeunesse faisant seulement qu’ils trouvent l’entretien parfois comique. La
conversation est en anglais. Arnulf parle avec souplesse, alors que les phrases
de Nina ont tendance à se coincer, et elle regarde Arnulf pour qu’il les
finisse.
Avant d’arriver à Soissons, ils ont visité Coucy le Château. « Très beau, même s’il n’en reste pas grande
chose. Dommage que les Allemands l’aient détruit… » Par son sourire en
le disant Arnulf reconnaît que, si jeunes et si paisibles qu’ils soient,
l’histoire se réveille sur leur passage.
Qu’est‑ce qu’ils vont manger ce soir ? « De la soupe, je crois, » dit Arnulf. Il se penche en arrière,
ouvre la porte d’un placard, regarde, et se ravise : « Des spaghettis, avec une sauce tomate au
thon. »
Ce qui les amène à Soissons ? « La ville a une étoile dans le guide, »
explique Arnulf. « Cela veut dire
qu’elle mérite une visite. Deux étoiles, c’est pour un séjour. » Ils
repartiront demain, en suivant cette fois l’étoile qui les ramènera chez eux.
« En deux jours, » dit Arnulf, « car nous ne
roulons qu’à quatre‑vingts à l’heure. »
L’Union
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