Une Bible épaisse, à reliure bleue et blanche, prend sa
place au milieu des étagères près de la table. Un livre d’hymnes et de psaumes
est ouvert sur un grand harmonium. A la télévision, le programme est
néerlandais. C’est une pièce qui, par son confort et sa sobriété, se relie aux
intérieurs vus dans les tableaux des peintres des Pays Bas, sauf que, au lieu
de voir un jardinet ou une rue à travers les fenêtres, il y a l’Aisne qui coule
autour.
Meneer
(Monsieur) et Mevrouw (Madame) Voerman, Kasper et Maya, se déplacent sur une
péniche de 25 mètres de long, amarrée depuis quelques jours à Soissons. Ce
sont des mariniers, maintenant en retraite, mais qui n’ont pas cessé de voyager
pour autant. Maya est même née sur une péniche, alors que la mère de Kasper
avait débarqué à temps chez ses parents.
Ils
visitent Soissons pour la troisième fois, pour s’y approvisionner, et parce
qu’ils trouvent les alentours « prettig »,
c'est-à-dire « agréables ».
La prochaine escale sera Compiègne, puis ils rentreront chez eux par la
Belgique. Autrefois ils sont allés jusqu’à Prague, et ont même atteint la
Méditerranée. Leur voiture est garée sur le pont avant, pour des virées
occasionnelles à terre. « En hiver
nous nous fixons à Zwartsluis, près de Zwolle aux Pays Bas, mais nous habitons
toujours la péniche. »
Converser
avec eux est laborieux, car ils ne parlent que le néerlandais. Mais ils n’ont
aucune réticence à communiquer franchement, sans emphase, sans s’exciter. Après
tout, ne vivent‑ils pas depuis toujours dans le mouvement lent des grandes
voies d’eau d’Europe, qu’ils descendent ou remontent dans le respect des
courants ? Ils en ont acquis une sérénité à l’épreuve des énervements du
quotidien.
« Nous
sommes protestants. » dit Maya. Aux Pays Bas, le protestantisme,
religion majoritaire, implique une attention soutenue aux préceptes bibliques,
une préoccupation avec les questions morales. Chacun doit assumer la
responsabilité de sa relation avec Dieu, sans intermédiaire. Cela crée au mieux
un comportement marqué d’une grande droiture, au pire une rigidité d’esprit.
« Nous appartenons à la plus sévère
des deux églises réformées, la « Gereformeerde ». Le sourire de
Maya en l’admettant n’a pourtant rien d’austère.
« Immanuel » veut dire « Dieu
auprès de nous ». C’est le nom gravé sur l’avant de la péniche. « J’ai eu neuf bateaux, et tous ont porté le
même nom. » explique Kasper.
Ce qui
rendrait jaloux les vacanciers s’arrachant les bras à traîner leurs valises,
qui dorment mal sur un matelas trop mou ou trop dur, à qui il manque les petits
conforts de leur maison, c’est que Kasper et Maya Voerman voyagent pendant des
mois sans avoir à partir de chez eux. Ils lâchent les amarres, et leur maison
sur l’eau les accompagne jusqu’à dans les contrées les plus étranges.
L’Union
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