Au cœur de
Chacrise, derrière un portail bas, au fond d’une cour gravillonnée, une maison
du pays. François Felder et sa femme Clairette, née dans la maison, habitent
ici depuis sa retraite de la banque il y a vingt‑huit ans. L’image de paix est
confirmée par sa voix tranquille et son petit sourire, antidote contre la
grandiloquence. A part les ennuis de santé qui ponctuent son quotidien, un long
fleuve tranquille, alors ? C’est oublier qu’il avait vingt ans en 1940.
« En 2004 après deux refus, j’a
reçu le dédommagement maximum pour travail en situation d’esclavage. ».
Il naît à Saint Quentin, où son grand-père, arrivé de la
Suisse, et puis son père sont ébénistes. Elève doué, François entre au Petit
Séminaire, puis au Grand. La voie de la prêtrise est tracée, jusqu’à ce qu’il
se rende compte qu’il n’a pas la vocation. « Je suis parti dans la nature. » Sans ses parents, déjà morts,
sans travail et sans argent, il est accueilli par l’abbé Géant de Chacrise.
Toujours en soutane, il rencontre sa future fiancée. Il entre à la banque à
Soissons.
En novembre 42, il est déporté en Allemagne au titre du
« service du travail obligatoire ». La vie est rude, mais il réussit
avec des camarades des Jeunesses Ouvrières Chrétiennes à organiser des
réunions. Les Jocistes sont trahis, et François est condamné au terrible
Camp 21. Son nom est remplacé par un matricule, qu’il récite encore en
allemand : « Il fallait bien,
sinon c’était la matraque. »
Les images glaçantes de gardes SS accompagnés de chiens,
de coups, de nudité, de famine, d’appels sous la pluie, François Felder les a
vécues dans la réalité de sa chair. « Un
jour, un détenu épuisé et battu tombe dans une mare d’eau. Nous l’avons sorti,
mais ils se précipitent pour l’y remettre. » Le lendemain le corps
recroquevillé et anonyme est emporté.
Après un mois, presque mourant, François est relâché.
Vient la libération par les Américains. La vie de famille attend, et il
bouscule le calendrier pour se marier. Un camarade lui prête un costume. Seulement,
Clairette se souvient que « parfois il ne causait pas ».
Par le biais d’un jumelage, ils se rendent sur les lieux
de sa détention. « En descendant du car je tremblais, je tremblais. »
Mais l’amitié naît avec le couple allemand qui les reçoit.
Il se bat, avec l’Association des Victimes et Rescapés des Camps Nazis du
Travail, pour la reconnaissance des déportés
du travail, sur lesquels pèse longtemps l’accusation d’avoir accepté trop
mollement leur déportation. « A la
mairie de Soissons » rappelle sa femme « ils étaient déjà entourés de mitraillettes. »
Le mal existe, il le sait. Cela n’a‑t‑il jamais atteint
sa foi en l’homme, en Dieu ? « Mais
non ! » Il sourit. François Felder a rebâti une paix trop
résistante pour qu’une telle question y ait même sa place.
L’Union
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