« Pour
faire face à un géant russe, j’ai cherché une grande figure de la culture
française. » Régis Obadia explique ainsi son choix de Baudelaire comme
inspiration de « Réversibilités », la ballet qui précède « Le
sacre de printemps » d’Igor Stravinsky au centre culturel. Dans cette
première partie, les jeunes danseurs de la compagnie Obadia, presque tous russes,
réussissent à devenir des objets ballottés par des forces qui jouent avec leurs
corps, les jettent en l’air, par terre, les font virevolter. Même la sexualité est
un spasme parmi d’autres.
Après l’entracte, le public, qui a dû se retirer sur les
paliers et les escaliers menant à la grande salle, le temps qu’un décor
métallique soit installé, et du sable noir étalé sur le plateau, retrouve les
danseurs pour le « Sacre du printemps ».
Sa partition, comme son sujet, ont fait un tel scandale à
la création en 1913 qu’un journal du lendemain titrait « Le massacre du
printemps ». La musique ne ménageait pas des oreilles habituées aux
rythmes et tonalités conventionnels, et le sacrifice orgiaque d’une jeune fille
était loin des intrigues éthérées des grands ballets classiques.
La moisson est le moment fort de la communauté
campagnarde, garantie de sécurité alimentaire ; mais c’est au printemps
que le pari est lancé, avec tant d’incertitude que des hommes primitifs, soudés
à leurs terres, ont pu croire que, pour que la semence renaisse dans la terre
d’été, du sang humain doit être versé.
Les danseurs se rassemblent pour ce rite, en passant du
bal de campagne, avec les mâles qui rôdent en toisant des partenaires
potentiels, à la fureur d’un accouplement destiné à faire plier les divinités
fécondes. La force de l’homme et la grâce de la femme entrent en collision avec
la force de la femme et la grâce de l’homme, jusqu’à l’effondrement de l’élue.
La mécanisation a exilé l’agriculture de la communauté.
Mais une ville de marché comme Soissons, dont la vie dépend encore de sa
campagne, n’est pas si loin que ça de ce geste du semeur. Chaque année, il exprime
l’espoir de survie. Ce spectacle de danse touche à quelque chose de plus perturbant
que la simple jouissance chorégraphique.
L’Union
Tachés par le sable de scène, les danseurs après le spectacle.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Les commentaires seront vus avant d'être affichés.