Ce qu’aime faire le chapeau d’Avner, c’est narguer son
maître. Au lieu de rester tranquille sur la tête, il tombe, il roule, il
volète. Il se met en haut d’un bâton. Avner, qui tient le bâton, a beau tendre
le bras, sauter, monter même sur une chaise, ce chenapan de chapeau reste
insolemment hors de portée. Avner n’arrive à le remettre sur sa boule qu’au
prix de contorsions, pirouettes, jonglages. Chaque fois, le public applaudit sa
prouesse.
Car
l’exploit le plus étonnant de ce comique américain, mime et prestidigitateur,
qui a commencé sa tournée française à Soissons, et qui a tant de mal à gérer le
quotidien des objets qui l’entourent, est d’avoir mis son public dans sa poche
dès l’entrée en scène. Des vagues de rire traversent la salle, se calment, se
reprennent, gonflent et ne s’arrêtent qu’à regret. Quand il fait monter une
spectatrice sur la scène, il réussit à faire rire sans la ridiculiser. Son
humanité est aussi grande que son talent pour ce qu’il appelle « la
comédie physique ».
Alors que le mime Marceau se
mesurait contre l’atmosphère qui l’entourait, Avner est confronté à la
contrariété du monde matériel. Entre ses mains tout se disloque, chute,
saute : il faut le voir ramasser des cigarettes éparpillées par terre pour
comprendre à jamais le sens du mot « maladroit ». Soudain, encore par
contrariété, les accessoires, de bourreaux deviennent complices. Avner et sa
salle jubilent.
Puis au
milieu de ses tribulations, et des rires qu’elles suscitent, une question
s’insinue : où tout cela mène‑t‑il ?
« Quelqu’un en Irlande m’a dit que mon spectacle c’est « En
attendant Godot » avec des tours de passe‑passe. » dit-il après
le spectacle. Au sujet de ses ateliers pour clowns, il écrit : « Nous
attendons tous celui dont l’autorité démasquera l’imposteur que nous croyons
être. » Voilà d’où vient la profondeur de son propos.
Son chapeau (encore lui !)
ressemble pour moitié à un couvre‑chef de juif orthodoxe. C’est l’autre moitié,
celle que partagent juifs et goyim (non‑juifs), qu’explore Avner. Privés de
parole, ses agitations, ses agacements et ses victoires cachent en fait le
silence mortuaire qui menace de tomber.
Avner
finit par dîner devant les spectateurs, d’une pile de serviettes en papier. Il
en mange une, deux. Le mystère grandit. Après une trentaine, il se couvre le
visage d’un de ces papiers, avec des trous pour les yeux et la bouche, le fait
tenir par de fausses lunettes avec un gros nez, puis le grignote, en le tirant
avec ses lèvres, jusqu’à découvrir son visage, rendu caricatural par le masque.
Le comique et le tragique juifs – et humains – se rejoignent. Rire pour ne pas
pleurer, c’est cela l’expression, n’est‑ce pas ?
L’Union
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