01/03/2006

Lucien et Eliane Sauvage : la profondeur par la douleur

En juin, le soleil pousse le crépuscule de plus en plus loin vers la nuit. Le matin du samedi 17 juin 1972, les Soissonnais au marché s’affolent en apprenant un terrible accident survenu tard la veille à Vierzy. Un tunnel s’était effondré sur un train venant de Paris, alors qu’un second train arrivait dans l’autre sens.
    Lucien et Eliane Sauvage tiennent à l’époque un magasin derrière le Palais de justice. Rassurés parce que leur fils Alain rentre habituellement de Paris le samedi, ils l’appellent pour le prévenir. Il ne répond pas. Un ami, contacté par téléphone, explique que, libéré tôt de son travail, il avait pris le train de vendredi.
    Lucien part pour Vierzy, et se met à chercher parmi les débris dans le tunnel. Puis les civils sont éloignés. Le corps d’Alain est retrouvé mardi, dans un wagon de tête, alors qu’il prévenait toujours sa jeune sœur Monique : «N’y monte jamais.» Le mystère ne sera pas élucidé.
    L’Union des victimes de Vierzy est créée, pour demander justice et combattre ceux qui y voyaient une « fatalité » arbitraire comme un coup de foudre sur un arbre. Avec le temps, elle est devenu l’expression de la solidarité autour d’un événement qui a meurtri la ville et ses alentours. Les relations en son sein durent comme les amitiés de temps de guerre. «Tous ont été solidaires, nous ont soutenus.» Président à quatre vingts ans, Lucien affirme «Tant que je pourrai, je m’occuperai de l’association.»
    Lucien le Cambrésien et Eliane la saint Quentinoise s’étaient rencontrés pendant la guerre lorsque le jeune Lucien avait fui les bombardements alliés. Commerçants, ils ouvrent « Le Couvre Pieds » en 1962 à Soissons, parce que la ville est à la bonne distance de la maison mère de Saint Quentin. Ils fabriquent et vendent des édredons, ces confections de satin brodé et capitonné qui régnaient dans les chambres à coucher avant d’être chassées par la couette. « Un beau métier » dit Eliane avec un sourire.
Ils achètent une maison à Sorny, pour aller à la campagne en fin de semaine. Alain devient tapissier aussi, et trouve un travail dans les ateliers de la télévision à Paris.
     «On ne croit pas qu’on puisse vivre ça.» Lucien et Eliane, en retraite depuis quinze ans, acceptent de parler de tout, comme un devoir, un droit. Est ce leur longue douleur qui leur a apporté cette simplicité, cette profondeur ?
    Eliane voit l’avenir. «Quand nous n’y serons plus, ni sa sœur, personne ne se souviendra de lui.» Quelqu’un de jeune, qui meurt avant de faire son empreinte sur le monde, ne survit que dans la mémoire de ceux qui l’ont aimé.
    Le monument à Vierzy, au dessus de l’entrée du tunnel, contient sur deux colonnes des inscriptions, chacune avec un prénom, un nom et l’âge. A droite, vers le bas, il y a «Alain Sauvage, 21 ans». Cent sept autres noms l’accompagnent.
L’Union

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Les commentaires seront vus avant d'être affichés.