30/01/2007

André Jumelet vit de sa poésie


Dans les longs segments de couloir qui ceinturent la maison de retraite Saint Lazare, la plupart des personnes aperçues à travers les portes ouvertes, ou dans les coins salon, paraissent désœuvrées. Ce qui faisait leur occupation, leur métier, a disparu, et l’attente qui lui a succédé, émoussée par le vide quotidien, ressemble souvent à la résignation.
Dans une chambre, pourtant, l’ambiance est industrieuse. André Jumelet est penché sur sa table, écrivant ou recopiant ses poèmes, ses mémoires, ses réflexions, d’une écriture fine, à peine secouée par le temps. Un écrivain à la retraite ? Plutôt un homme qu’a accompagné la poésie sa vie durant, et qui s’y consacre enfin tout entier.
Ses poèmes ne sont pas ceux qui fouillent le langage à la recherche d’un sens à l’existence ; ils chantent la beauté de la nature, des amours. Parfois ce sont comme les paroles de chanson – et parfois, au lieu de les dire, André chante, d’une voix claire et forte qui s’entend le long des couloirs : « Je chante la joyeuse alouette, qui brille en volant vers l’azur, la petite bergeronnette… ».
Frêle, ayant des difficultés pour se déplacer, il se hisse au-dessus de ce qui paraît une sorte de capitulation généralisée, par son imagination lyrique.
Né à Villers-Cotterêts, André quitte l’école à treize ans, 1er du canton au certificat d’études, mais sans pouvoir poursuivre ses études. « Mes camarades disaient toujours que j’aurais dû être instituteur. » Il passe d’un métier à un autre puis, après la guerre, se met a son compte, et pendant vingt ans fabrique des portemanteaux de luxe en bois pour de grands magasins parisiens.
Cornettiste, il joue aux bals populaires, grande institution jusqu’aux années soixante. Un soir, il rencontre une femme. « Elle était belle. Elle m’a pris le bras. » Comment lui faire la cour ? Poète qu’il est, il lui adresse le lendemain un poème. Puis il apprend que, pendant la guerre, elle aurait eu des relations avec l’occupant. Il est ferme : « Je n’allais tout de même pas passer derrière un Allemand. »
Bien plus tard, il forme une amitié profonde avec une jeune femme. Ils se voient souvent, partagent l’amour de la forêt. Elle meurt.
Après sa retraite, il vit petitement en vendant les produits de son jardin. Viennent un affaiblissement, une chute, un incendie, et le voilà à Soissons, dans la maison de retraite.
Sa joie éclaire la chambre lorsqu’il y reçoit une visite. Il est inépuisable sur les épisodes de sa vie, et une mine d’information sur l’histoire populaire, ses traditions et fêtes. Un homme à la fois simple et cultivé. « C’est un trésor caché » dit une soignante.
Lucide, sensible, créatif, attentif aux autres, que ne serait-il pas devenu avec des origines plus privilégiées ? Riche, haut placé, entouré ? Voilà qu’au lieu de cela il reste le poète solitaire, se dévouant encore aux mots qui ont si bien traduit et porté son amour du monde. Toute sa vie il a fait vivre la poésie laquelle, reconnaissante, le fait maintenant vivre.         L’Union

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