Dans les longs segments de
couloir qui ceinturent la maison de retraite Saint Lazare, la plupart des personnes
aperçues à travers les portes ouvertes, ou dans les coins salon, paraissent désœuvrées.
Ce qui faisait leur occupation, leur métier, a disparu, et l’attente qui lui a
succédé, émoussée par le vide quotidien, ressemble souvent à la résignation.
Dans
une chambre, pourtant, l’ambiance est industrieuse. André Jumelet est penché
sur sa table, écrivant ou recopiant ses poèmes, ses mémoires, ses réflexions,
d’une écriture fine, à peine secouée par le temps. Un écrivain à la
retraite ? Plutôt un homme qu’a accompagné la poésie sa vie durant, et qui
s’y consacre enfin tout entier.
Ses
poèmes ne sont pas ceux qui fouillent le langage à la recherche d’un sens à l’existence ;
ils chantent la beauté de la nature, des amours. Parfois ce sont comme les
paroles de chanson – et parfois, au lieu de les dire, André chante, d’une voix
claire et forte qui s’entend le long des couloirs : « Je chante la
joyeuse alouette, qui brille en volant vers l’azur, la petite bergeronnette… ».
Frêle,
ayant des difficultés pour se déplacer, il se hisse au-dessus de ce qui paraît
une sorte de capitulation généralisée, par son imagination lyrique.
Né
à Villers-Cotterêts, André quitte l’école à treize ans, 1er du
canton au certificat d’études, mais sans pouvoir poursuivre ses études. « Mes
camarades disaient toujours que j’aurais dû être instituteur. » Il
passe d’un métier à un autre puis, après la guerre, se met a son compte, et
pendant vingt ans fabrique des portemanteaux de luxe en bois pour de grands
magasins parisiens.
Cornettiste,
il joue aux bals populaires, grande institution jusqu’aux années soixante. Un
soir, il rencontre une femme. « Elle était belle. Elle m’a pris le
bras. » Comment lui faire la cour ? Poète qu’il est, il lui
adresse le lendemain un poème. Puis il apprend que, pendant la guerre, elle
aurait eu des relations avec l’occupant. Il est ferme : « Je
n’allais tout de même pas passer derrière un Allemand. »
Bien
plus tard, il forme une amitié profonde avec une jeune femme. Ils se voient
souvent, partagent l’amour de la forêt. Elle meurt.
Après
sa retraite, il vit petitement en vendant les produits de son jardin. Viennent
un affaiblissement, une chute, un incendie, et le voilà à Soissons, dans la
maison de retraite.
Sa
joie éclaire la chambre lorsqu’il y reçoit une visite. Il est inépuisable sur
les épisodes de sa vie, et une mine d’information sur l’histoire populaire, ses
traditions et fêtes. Un homme à la fois simple et cultivé. « C’est un
trésor caché » dit une soignante.
Lucide,
sensible, créatif, attentif aux autres, que ne serait-il pas devenu avec des
origines plus privilégiées ? Riche, haut placé, entouré ? Voilà qu’au
lieu de cela il reste le poète solitaire, se dévouant encore aux mots qui ont
si bien traduit et porté son amour du monde. Toute sa vie il a fait vivre la
poésie laquelle, reconnaissante, le fait maintenant vivre. L’Union
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