25/05/2007

Jacques Lestrat et le plus beau des paysages


"D'habitude la chose, indéfinissable, est sur mon côté et je veille à bien garder un ascendant sur elle. [...] Enfant je la sentais rôder, flotter, mais je ne pouvais jamais la regarder en face." Jacques Lestrat a écrit ces mots dans un conte, mais ils pourraient illustrer des ombres dans sa vie qui l'ont freiné, et qui, une fois reconnus, ont pu dégager en lui une grande force de curiosité et de créativité. Les ombres trament encore, mais ils n'empêchent pas la lumière de passer.
     Jacques Lestrat, né à Paris, grandit à Laversine, aîné d'une famille nombreuse. Bon élève, il a été malgré tout obligé de quitter l'école et devenir apprenti tourneur sur métaux. En 1960 il sai­sit une occasion pour partir à Paris, travailler chez Citroën.
    Il aurait pu en rester là, ouvrier boulimique de lecture (« Je lisais Zola à onze ans »). Vient 68. Grèves. « C'était somp­tueux. Tu penses, j'entrais dans la Sorbonne ! » Tout devient possible. «Je suis un pur pro­duit de 68. » II entreprend des études, devient éducateur, et poursuit des études de psychologie à la révolutionnaire faculté de Vincennes jusqu'au docto­rat en 1987. Il plonge aussi dans le mouvement des thérapies al­ternatives. Comme pour tant d'autres soixante-huitards, son destin social a pu être ébranlé.
    « Je n'écrivais jamais, seule­ment pour l'information. » Ce n'est que lorsqu'il est obligé de produire son mémoire de maî­trise en trois mois qu'il contourne ses réticences et dé­couvre l'écriture, plaisir et défi. Ses « freins personnels » com­mencent à enrichir ce qu'il écrit.
    Revenu dans le Soissonnais, il est éducateur auprès du juge d'enfants, s'occupant de fa­milles en difficulté. Il se met aussi à son compte comme formateur, consultant et médiateur en entreprises, à travers la France.
    L'écriture prend de plus en plus de place dans sa vie, et en 2000, cherchant le changement, il se forme comme conteur pour adultes. Il dit ses contes dans les maisons de retraite, et anime un atelier à la prison de Châ­teau Thierry. « De longues pei­nes, souvent incompressibles. » Les détenus sont-ils prêts à ex­hiber leur vie ? « C'est un conte. Il suffit de mettre « il » au lieu de «je. » Ainsi chacun peut gérer sa « chose » sans se trouver per­sonnellement sous les projec­teurs.
    Parallèlement, il devient dé­légué départemental de NPI, un réseau de biographes familiaux. Jacques se voit « passeur », ai­dant des personnes sans don pour l'écriture à traverser les montagnes de la mémoire et de la réticence. Il a commencé par sa propre autobiographie, mais qu'il n'entend pas publier en­core.
    Dans la conversation, Jacques Lestrat se donne à fond. Il ra­conte sa vie comme s'il disait un conte, sans effet de manche, mais prenant du plaisir à dé­tailler les événements et re­tournements. De toute façon, converser l'enchante. « Une au­tre personne » proclame-t-il « est le plus beau des paysages. »
L'Union

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Les commentaires seront vus avant d'être affichés.