Un corps
puissant peut inspirer un sentiment soit de crainte soit de sécurité. La
présence de Christophe Le Strat, capitaine de l’équipe A de rugby de l’ACS, est
plutôt rassurante, surtout avec Mathias, son fils de neuf mois, sur les genoux.
C’est différent sur le terrain. « Il faut faire peur à l’adversaire. »
Un non-joueur s’imagine même que, plaqué par ce corps, il faudrait un pied de
biche pour l’extraire du gazon.
Christophe a trente-six ans. Une absence l’accompagne
depuis autant d’années. Son père est mort dans un accident de mobylette à sa
naissance, et sa mère revient chez ses parents, ouvriers agricoles à Fontenoy. « Mon
grand-père polonais m’a fourni la présence masculine – et ses gênes polonais.
Pour ça je suis costaud. » Il le dit avec un demi-sourire typique.
Ecole à Fontenoy, collège à Vic, lycée technique à
Soissons, BTS à Creil, et le voilà dessinateur industriel, gagnant sa vie pour pouvoir
s’adonner au sport. « Il n’y a aucune prime de match, quoi qu’en
pensent des gens. »
C’est avec son frère aîné, au collège, qu’il prend une
licence pour jouer dans une nouvelle équipe de rugby, au dépit de sa mère, qui
aurait préféré le foot, moins brutal à ses yeux. A quinze ans, il rejoint les
minimes de l’Amical Club de Soissons. Sa taille le fait nommer
« pilier ». « Cela a évolué depuis. Il faut maintenant savoir
tout faire. »
Capitaine depuis cinq ans, il pense le rester encore une
saison. « J’ai toujours envie de jouer. Mais physiquement, je le sens.
Avant, après un match, j’étais remis le lendemain. Maintenant, j’ai mal partout
pendant des jours. Et j’ai une famille. » Mais il ne veut pas tourner
le dos aux jeunes qui montent.
« C’est une célébrité » explique sa femme Emilie. « On
crie « Nounours ! Nounours ! », et les jeunes le regardent
tout le temps. » Le demi-sourire revient. Aucune question sur le sport
ne le déroute. Ses réponses sont simples mais réfléchies. Il décrit le rugby,
sport de contact où les confrontations les plus fortes ne se poursuivent jamais
dans les vestiaires, par rapport au foot, où les contacts sont des fautes, et
la méchanceté, la contestation de l’arbitre sont fréquentes.
L’expression « école de la vie » est souvent
appliquée au rugby. « Il apprend le respect, de soi et des autres,
respect de l’arbitre, la cohésion d’équipe – et à perdre. » Cette
morale qu’enseigne le rugby n’est pas accessoire : elle est nécessaire
pour gagner. Utiliser sa force, sa vitesse, son acuité à bon escient, dans le
respect de l’autre, le rugby l’apprend comme tactique de jeu, et toute la vie
en est centrée et approfondie.
Qu’aime-t-il dans le rugby ? « C’est un
défouloir. Cela me laisse plutôt calme et posé. » La lutte franche sur
le terrain, la gentillesse dans la vie de tous les jours. La formule est
subtile, ayant trait sûrement autant à sa personnalité, son caractère, son histoire
familiale qu’au rugby.
L’Union
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