C’était le 2 juin 1917 à
Chacrise. Louis Laviolette avait sept ans. « Je me rappelle très bien
d’un défilé, manifestants qui criaient « du repos et des permissions ! ». Il s’en est
suivi, le lendemain ou sur le surlendemain, l’exécution derrière le moulin de
Fays de sept ou huit malheureux soldats, qui furent enterrés dans le cimetière
de Chacrise, avec l’interdiction formelle de leur porter des fleurs. Ma mère
m’a dit plus tard qu’une femme avait forcé la consigne. »
Ayant
grandi, et après travaillé à la Reconstruction avec son père, Louis Laviolette devient
policier à Paris pendant la Seconde Guerre. Avec honneur : la seule fois
où il doit arrêter des juifs, il s’arrange pour ne pas les trouver chez eux.
Retraité plus tard à Belleu, il s’assied un jour dans son jardin, et entreprend
d’écrire ses mémoires.
Son
sens de l’injustice faite aux mutins reste vif. Il fournit d’autres détails
dans un entretien filmé : le drapeau noir en tête de défilé, l’accoucheuse
du village qui fleurit les tombes en compagnie de son fils, alors que son mari bûcheron
attaque un général avec sa hache, le camion qui ramène les corps du lieu
d’exécution le sang s’égouttant sur la route, un sous-officier pleurant dans la
cour des Laviolette parce que ses camarades étaient parmi les fusillés.
Plus tard, des recherches par un historien local confirment
la réalité des exécutions, mais changent profondément la donne : il n’y avait
pas de lien entre les manifestations de rue et la condamnation au front de quatre
mutins amenés ensuite à Villeblain pour être fusillés. Les faits sont racontés
dans « La grève des tranchées » de Denis Rolland.
Mis devant les incompatibilités dans le récit du petit
Louis, le vieux Louis s’est senti pris en faute. Mais les enfants, en mêlant ce
qu’ils voient à ce qu’ils entendent dire, construisent un monde cohérent pour
pouvoir grandir. La mémoire est la clef qui ouvre la porte du passé, mais l’exactitude,
chacun en a l’expérience, est rarement son souci premier. La valeur de l’étude
minutieuse de ce qui se trouve derrière la porte, par ceux qui en font
l’Histoire, ne peut pas faire oublier la reconnaissance due à ceux qui "se
souviennent", donnant une impulsion à notre identification du passé.
Louis
Laviolette est décédé en 2002. Chaque printemps, sa
vallée de la Crise se fleurit, un défi flamboyant à l’ancien
déshonneur fait aux morts : des jacinthes qui bleuissent les
sous-bois, des cytises, des iris jaunes, des clochettes blanches dans la
verdure, des bleuets et surtout les coquelicots, couleur de sang frais, qui
éclaboussent des champs de blé mûrissant.
Louis avait d’ailleurs un souvenir plus effrayant
que les mutineries : « Le jour qui m’a marqué est celui où quelques
Allemands sont venus à la maison pour rechercher mon père, j’étais blotti dans
les jupons de ma mère. Ce jour-là ils ne l’ont pas trouvé, j’ai su plus tard
par mes parents que mon père était caché dans le four à pain. »
L’Union
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