C’est comme
chaque fois à l’Arsenal. Avant un concert, les conversations fusent.
L’actualité fait qu’on entend parler surtout de « ballottage », « fusion »,
« 2e tour ». Puis les
lumières s’estompent, la parole s’efface, et nous entrons dans un autre monde.
La pianiste chinoise Zhu Xiao Mei, en tunique et pantalon
de soie sombre, monte sur l’estrade. Elle paraît presque gênée, mais prête à
surmonter sa gêne pour pouvoir s’asseoir et partager Bach avec nous.
Elle jouera les variations Goldberg – en réalité une
chaconne, car ce n’est pas la mélodie mais la progression harmonique de la
ligne basse qui relie ces moments musicaux. L’histoire dit que, dans son camp
de rééducation pendant la Révolution culturelle, elle jouait de mémoire l’œuvre
sur un instrument délabré aux cordes en fil de fer.
Elle se penche sur les touches, apparemment absente à tout
sauf Bach, mais dit après le concert avoir été sensible au silence attentif dans
la salle. On dit « jouer par cœur »,
mais c’est plutôt ses doigts qui doivent porter en eux les cinquante minutes de
musique. Les Goldberg sont écrites pour un clavecin à double clavier, et sur un
piano les mains se croisent vertigineusement, ou même se superposent.
La symétrie de la composition, son recours à une seule
clef, unifient le foisonnement de formes, de mélodies, de couleurs. Le retour
de la lente aria à la fin fait penser que la beauté revient toujours à
elle-même, pour reprendre inépuisablement son chemin.
Rappelée par la
salle, Zhu Xiao Mei joue un fragment de Schubert, dont les glissements
harmoniques s’opposent délicieusement aux Goldberg, comme un digestif qui secoue.
Avant ce récital, on pouvait imaginer survivre sur une île
déserte en rejouant le seul enregistrement des Goldberg. Mais le bonheur
d’entendre émerger puis disparaître à jamais chaque note devant vous donnerait
furieusement envie de les faire jouer une seule fois sur la plage par Zhu Xiao
Mei, qui repartirait en tournée, vous laissant sans rien, mais comblé.
L’Union
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