A l’autre
bout du Mail (voir
Le stoïcisme au quotidien), Sénèque met en garde contre
les émotions excessives. Au théâtre, des extraits de ses tragédies confirment les
horreurs qui attendent ceux qui cèdent à la douleur, la fureur. Médée,
abandonnée par Jason, tue leurs enfants pour se venger. Phèdre, négligée par
Thésée, s’éprend de son beau-fils Hippolyte. Œdipe, apprenant qu’il a tué son
père et couché avec sa mère, s’arrache les yeux.
« La revue tragique », réalisée par Vincent Dussart,
directeur de la compagnie de l’Arcade, choisit ces moments paroxysmaux pour
illustrer le sort de ceux qui, dans l’adversité, deviennent monstrueux. Un
enchaînement sinistre de crises d’identité, alors ? Le spectacle en est
sauvé brillamment par sa forme, celle d’une revue, avec musique et même une
meneuse. Anne de Rocquigny définit son rôle : « Elle est un peu la dompteuse de ces fauves, mais en même temps
elle les aime. » Elle fait entrer et sortir les personnages, les
encourage, les aiguillonne, s’en étonne, s’en désole. Sa présence, parfois
grave, parfois comique, rend l’ensemble cohérent.
La meneuse de revue (Anne de
Rocquigny) dirige les opérations
et les êtres, ici face à Oedipe (Xavier
Czapla), qui vient de se crever les yeux.
Un spectateur, admiratif devant la scénographie, les acteurs, le
travail du réalisateur, critique cependant ce montage, qui ôte aux personnages
l’histoire qui les a faits tels. C’est le genre qui dicte, peut-on dire :
une revue est une série de boules de neige lancées au public, qui n’aura pas vu
tomber les flocons dont elles sont faites.
Comme chaque fois avec Dussart, les gestes, les voix ne sont jamais
convenus. Il fait travailler un autre niveau de conscience chez les acteurs. Le
naturalisme est banni. Ainsi, au lieu de regarder seulement, nous participons à
une cérémonie. C’est tout le pouvoir du théâtre.
« La revue tragique » a été accueillie avec enthousiasme.
Elle ira à Avignon en juillet. Si elle y débute une belle carrière, n’oublions
pas qu’elle est née à Soissons, que nous étions les premiers à nous émouvoir et
à rire de ces êtres dont les horreurs ne cachent pas notre humanité commune.
L’Union
Les comédiens après le spectacle : de gauche à droite Xavier Czapla,
Virginie Deville, Rachel Mateïs, Patrice Gallet, Sophie Torresi, Anne de
Rocquigny.
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