Ce que je remarque d’abord sur le bateau
amarré à la halte fluviale est son drapeau, orné d’un grand lion rouge
(« rampant » en langage héraldique, c'est-à-dire debout, toutes
griffes dehors) sur des bandes bleues et blanches. Le couple qui m’accueille explique
que c’est un des deux drapeaux du Luxembourg, incorporant le lion des armoiries
grand-ducales. L’autre, le national, plus sobre, reproduit le drapeau
néerlandais, avec du bleu ciel à la place du foncé.
Fernand Haecht et Albertine Kieffer vivent
à Hautcharage, village près de la frontière française. Nous parlerons français
ensemble, mais leur première langue est le « Lëtzebuergesch », patois
mosellan devenu langue nationale en 1984, à côté du français et de l’allemand. En
plus, 25 pour cent de la population parle le portugais. Albertine et Fernand sont
conscients de vivre une situation linguistique bien plus souple que celles des
Français ou des Belges, qui s’identifient si tenacement à leurs langues. Parlant
des vendeuses de magasins arrivées chaque jour de France par trains entiers, et
qui répondent systématiquement aux clients en français, Albertine ne se plaint
que de celles qui vont jusqu’à demander « Pouvez-vous
dire cela en français ? »
Elle a été vendeuse de chaussures elle-même
dès l’âge de 14 ans, a suivi des formations et connaît tout sur le métier.
Devenue veuve, elle a laissé ses deux filles l’aider à surmonter deux peurs –
de l’avion et de l’eau. Avec son compagnon Fernand elle sait à présent tout
faire à bord.
Fernand parle de son enfance. Forcé à devenir
« Ferdinand » le temps de l’occupation allemande, il se rappelle que
sa famille a abrité des Français en fuite.
Il a travaillé en usine, devient
chauffeur de car, puis mécanicien. A travers ces mutations, il reste fidèle à son
amour de la musique. Depuis un demi-siècle il joue la clarinette dans l’Harmonie
centenaire du village. Sans être musicienne Albertine s’est engagée aussi dans
cette longue aventure.
« C’est
la première fois qu’on voit des Luxembourgeois » leur dit-on aux amarrages. En effet, il est tentant d’essayer
à travers Albertine et Fernand de saisir la particularité de ce pays au nom
familier mais à l’image floue. Le Grand duc, par exemple ? Albertine est
heureuse de vivre sous ce régime. « C’est
plus comme une grande famille. »
Il est midi. Je ne pourrai pas partir
sans boire l’apéritif, leur rituel sacré où qu’ils soient. La bouteille sort du
froid et, sur le bord de l’Aisne, nous levons nos verres pleins de bulles à la
santé des Soissonnais, des Luxembourgeois.
L’Union
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