Cet entretien clôt notre chronique
estivale. Une constante dans ces rencontres a été le jeu des langues,
maternelles, apprises, oubliées, parlées avec ténacité, gêne ou jouissance, de
la part des visiteurs comme de votre correspondant. Aujourd’hui, une famille
anglophone que poursuit, comme une ombre historique, le franco-normand.
« On
savait quand c’était notre tante qui téléphonait, car ma mère se mettait tout
de suite à parler jersiais. » Peter
Buesnel illustre ainsi l’évolution linguistique de son île de Jersey natale. Par
certains côtés l’île ressemble à un pastiche ensoleillé de la vie villageoise
anglaise. Mais son passé est francophone, par son patois normand le
« jérriais ». Le choix en 1912 de l’anglais pour l’éducation obligatoire
fait que la langue du quotidien ne survit que fragmentairement. A son regret,
Peter n’en parle pas un mot.
A quelques milles marins du Cotentin,
les îles anglo-normandes sont une anomalie géo-politique. Ni partie intégrante
du Royaume Uni, ni états indépendants, ce sont des dépendances autonomes de la
couronne.
Je rencontre Peter avec sa femme Julie
et leurs trois filles au camping de Berny Rivière. Ils se montrent parfaitement
ouverts au jeu de l’entretien, se racontent avec humour et franchise.
Comme bien de jeunes Jersiais, Peter s’est
senti un jour à l’étroit dans son île. Il part, jusqu’en Australie, puis
s’installe en Angleterre, où il devient vendeur dans une entreprise. Julie y
travaille aussi. D’abord formatrice, mais outrée de voir ses stagiaires
appliquer si piètrement ses leçons, elle demande un jour un poste de vendeuse
elle-même. « Tout le monde peut
vendre n’importe quoi – une fois. Pour continuer, il faut du relationnel »
admet-elle. Peter me décrit une
battante, une femme de poigne. Et Peter ? « Un vendeur intègre » selon Julie.
Ils se marient, ont une enfant, pensent
à vivre à Jersey. « Je ne voulais
pas » explique Julie. Ils discutent. « Après une bouteille de champagne, c’était décidé. »
Maintenant, elle adore l’île, même s’ils
sont réservés quant aux mœurs politiques locales. Deux autres filles y
naissent. Ils rentrent en contact avec l’église baptiste et, dit Julie, « Je voulais ce qu’ils avaient. Alors nous
avons donné notre vie au Seigneur. » Elle d’abord : « Peter avait plus de questions que
moi. » Elle travaille dans une librairie chrétienne, Peter vend des
photocopieuses aux banques qui font la prospérité jersiaise. Rien d’ascétique
dans leur foi, source d’épanouissement avant d’être une morale. Ils débordent
d’une bienveillance simple. « Nous
prions tout le temps. Je prie pour une place de parking, et la trouve. Nous
prierons pour vous. » C’est dit avec tant de naturel, de bonté, que ce
n’est ni gênant ni déplacé.
Je les quitte. Julie poursuit son bain
de soleil, Peter reprend sa lecture de l’épître de Timothée. En anglais,
naturellement.
L’Union
Peter et Julie Buesnel avec Taylor, 12 ans, Grace
10 et Eve 8, rappelées de leur baignade pour la photo.
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