Entourée de bateaux dont la superstructure dépasse le niveau
du quai, la « Mabel Rose » a quelque chose d’un sous-marin. C’est une
« narrowboat », péniche particulièrement étroite et bas sur l’eau,
construite pour naviguer sur les canaux de petit gabarit d’Angleterre. En
France on l’appelle « une
cigare ».
Michael Wray a pris sa retraite
en 2010, vendu son entreprise en Irlande, acheté le bateau (en France), loué sa
maison, et s’est lancé avec sa femme sur les voies d’eau de la France. Il
m’invite à monter – plutôt descendre – à bord, visiter les locaux nichés dans
les 2m20 de largeur et 17,5m de longueur. C’est astucieux et étonnamment
spacieux.
Il fait du thé. Sa femme étant
partie pour la naissance d’un petit-fils, il est d’autant plus disposé à
parler. Car Michael étant irlandais, le plaisir et le besoin de converser sont
forts. Je reconnais sa façon de traiter la parole comme sa cavalière qu’il fait
tourner sur une piste de danse, et dont, comme dans un tango, il met en valeur
l’habileté.
Né dans la communauté protestante
d’Irlande du Nord, il a pourtant un drapeau irlandais sur son bateau. « Vivre là m’a guéri de la religion
pour toujours ; puis entre les Français et les Anglais ça va nettement
moins bien qu’avec les Irlandais… »
Vivre la tourmente des années
soixante-dix en Irlande du Nord n’a pas été facile. « Tous nous portons les traces : un ami a perdu ses deux
jambes dans une explosion, et mon magasinier a été tué un soir en quittant
l’usine. »
Il parle des Français croisés en
voyage. « Plus charmants on ne peut
pas imaginer. Mais il faut faire le premier pas. » Les autres bateliers
sont notoirement sociables, mais il rappelle l’arrivée d’un bateau français. « Très corrects, mais aucun contact.
C’était mon anniversaire : on donne deux morceaux de gâteau à leurs
garçons. Ils reviennent avec les assiettes et une bouteille de vin, et nous
voilà embarqués pour une bonne soirée ensemble. »
Le nom du bateau date d’avant son
acquisition. « En Irlande, ça porte
malheur de changer de nom. D’ailleurs ma femme s’appelle « Rosemary »
et en France le nom devient « Ma belle Rose. »
Michael admet ne pas vouloir
s’éterniser sur les canaux. L’Irlande lui manque, même s’il parle toujours de
« l’Irlande du Nord ». La fracture presque centenaire du pays n’est
pas près de disparaître, ni dans la géographie ni dans les esprits.
L’Union
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