« Une question me tracassait »
dit le peintre Marie Miranda. « Comment vivait un jeune homme le départ
au front, arraché à ses parents, à sa femme et ses enfants, ou à une fiancée ?
Les lettres envoyées aux familles étaient comme un pont entre les deux mondes. »
Elle a contacté Marie-Joëlle Vandrand, qui avait publié les centaines de
lettres écrites par son arrière-arrière-grand-oncle Elie, paysan auvergnat tué
à vingt-trois ans à Verdun en 1916.
Ceux qui
suivent le travail de Marie Miranda connaissent son goût pour les vieux
papiers, découpés, peints, collés pour faire ses tableaux. « A ma
surprise, l’auteur a accepté ma proposition, et m’a envoyé une dizaine de
lettres. » Mais à les voir, l’émotion a été trop forte pour qu’elle
touche à l’intégrité de ces feuilles, et elle les a scannées. Ces œuvres sont
exposées actuellement à la bibliothèque de Soissons, débordant des espaces
habituellement réservés aux expositions pour occuper une bonne partie du
rez-de-chaussée.
Les couleurs
ardentes de Marie Miranda s’y retrouvent, mais plusieurs de ces tableaux
dépassent la délicatesse qu’on lui connaît pour traiter le mélange intime de
sauvagerie et de solidarité, de fracas et de silence, des temps de guerre. Des
noirs et des rouges acérés traduisent la fragmentation qui a atteint ces jeunes
hommes.
En utilisant
des documents, Marie Miranda fait le pont entre l’écriture et la peinture. Les
mots, avec leur promesse de lucidité, se mettent dans ses intérieurs, ses
paysages, ses natures mortes. Le spectateur peut se pencher pour les
déchiffrer, mais ce qui est écrit n’est guère lisible. L’artiste fait son
travail en forçant son public à s’arrêter de raisonner, et à reconnaître la
primauté de l’esthétique.
Plusieurs
des lettres originales sont exposées. L’écriture de la plus ancienne est un
modèle de ce qui était enseigné dans les écoles de la République, mais elle
devient ensuite plus libre, plus forte, plus adulte, alors qu’Elie grandit, vit
la guerre, et s’approche de sa mort, destiné à rester oncle, pour n’avoir pas
eu le temps de devenir père.
L’Union
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Les commentaires seront vus avant d'être affichés.