C’est
Louis Laviolette, huit ans à l’époque, qui raconte ce départ précipité de
Chacrise dans ses mémoires (voir Un témoignage sur 1917 : entre la mémoire et l'histoire du 2 juin 2007). De tels exodes font
partie de la mémoire collective locale. A présent, un couple de Danois, Aase et
Jørgen Dalager, venu dans la vallée de la Crise suivre l’itinéraire du
grand-père d’Aase, révèle l’autre face de cette image du village vidé de ses
habitants et attendant l’ennemi.
Peter
Maersk, qui travaillait au service du courrier dans l’armée allemande, et qui
avait attrapé le typhus plus tôt en Russie, est arrivé à Nampteuil et Chacrise en
juin, à la suite des troupes d’attaque.
Danois,
il était enrôlé malgré lui par les Allemands. En 1864, l’Allemagne avait annexé
la partie sud du Danemark où il est né en 1892 et, comme en Alsace et Lorraine,
les habitants étaient astreints au service militaire. En 1920 la région a été
rendu au Danemark.
Peter
raconte sa vie quotidienne de militaire dans sept mille cartes et lettres
écrites à ses parents et à sa fiancée Trine. Sa famille a fait don des
originaux à la Bibliothèque royale de Copenhague, mais les a transcrites dans
une trentaine de volumes. Aase et Jørgen ont apporté au gîte de Chacrise ceux
qui seront utiles pour visiter les lieux dont il parle, de Laon à la Marne. Aase,
professeur de biologie, et son mari, inspecteur scolaire dévoué à l’histoire de
Peter, ont attendu la retraite pour faire enfin ce voyage unique de
reconnaissance.
« Cétait un survivant » selon Aase, « plus concerné par les
personnes que par la politique. » Suspect à cause de ses origines, il
a quand même gagné la Croix de Fer. « Il faisait beaucoup pour ses
amis. C’était le fils adoré de la famille. »
Ses
lettres ne traitent guère des gloires ni des horreurs de la guerre. « J’ai
un vrai lit cette nuit » jubile-t-il. A Chacrise, il note que « les
pauvres gens on tout laissé pour se sauver. Les maisons sont détruites, et tu
peux tout trouver. J’ai deux draps de lit. En veux-tu ? » Il
s’enquiert aussi de la bonne arrivée de cuillers à café.
En
permission en 1917, il épouse sa Trine, déjà enceinte d’Anna, la mère d’Aase. Après
l’avancée de 1918, voyant venir la fin de la guerre, il profite d’une autre
permission pour se cacher. Il meurt en 1976. « Il ne parlait pas de la
guerre » se rappelle Aase.
En
visitant notre région, Aase et Jørgen sont surtout conscients du passage, loin
dans le temps, de cet ancêtre pris dans un conflit qui, au fond, ne le
concernait pas. Aase explique son sentiment sur un pont à travers la Marne :
« Je me disais que mon grand-père est passé sur ce pont. » Sous le
poids de l’histoire, familiale et mondiale, les paysages ne sont guère de jolies
cartes postales à admirer. A ce niveau d’implication, le tourisme devient
pèlerinage.
L’Union
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