20/12/2006

Cabaret Mozart : l’Arsenal en fête


La salle austère de l’Arsenal s’est mise en tenue de fête pour le Cabaret Mozart : rideaux bleus, panneaux à étoiles dorées, confettis, même des bulles de savon et, surtout, quatre mozartiens disposés à s’encanailler pour faire aimer autrement sa musique.
Cette production Musilyre détourne Mozart, sa musique et les paroles, sans jamais trahir ses lignes mélodiques, si simples, si subtiles. Le résultat est une sorte de cabaret déjanté.
La soprano Sandrine Charpentier était constamment en phase avec la démarche burlesque, alors que pour le ténor Christian Dassie, le baryton Patrick Vilet, et Gérard Parmentier, homme-orchestre au piano électronique, l’exubérance clownesque remplaçait parfois la finesse. De grands moments de délire ont été une version swinguée de l’air de Papageno de la « Flûte enchantée », un torrent de paroles ajoutées à l’ouverture des « Noces de Figaro », et une version trash de l’air de la Comtesse du même opéra, chanté par Vilet habillé en drag queen du Berlin des années trente.
Le numéro le plus irrésistible a été la « Petite musique de nuit » arrangée, prétendument par Mozart lui-même, pour claquettes. Le rythme endiablé a déclenché chez les artistes, et à leur plus grande surprise, un numéro de danse. Les pieds trépignaient, les visages s’alarmaient.
Cette dérision généralisée a rendu d’autant plus éloquent l’Andante en ut pour flûte, joué sans effet comique pendant un faux tour de funambulisme, et rappelant que Mozart savait saisir, et mettre en musique, toute la beauté du monde.
L’Union

Jamel Kermoud : une lumière pour aller toujours plus loin

Quartier des Deux Lions à Belleu. Derrière la porte d’immeuble, un couloir sombre comme dans un sous-sol, puis un escalier mal éclairé qui fait penser à une usine abandonnée. Jamel Kermoud montre le chemin, et ouvre une porte d’appartement. Une splendeur, l’intérieur marocain, ses banquettes bleu turquoise et or contre les murs, ses rideaux drapés.
Jamel, fils aîné né en 1987, y habite avec ses quatre frères, sa sœur et ses parents, arrivés du Maroc dans les années 70.
Fils d’immigrés, c’est au collège que Jamel a la révélation de son héritage, lorsqu’un club y monte une exposition sur le pays. « J’ai découvert mes racines » dit-il, encore étonné en le rappelant. Il rejoint le club, puis adhère à l’Adefram, fondée en 2000 pour développer les échanges franco-marocains, et plus largement la rencontre des cultures et des spiritualités. L’impulsion vient de Robert Foreau-Fénier, professeur retraité, rentré à son Belleu natal après une carrière parisienne.
Jamel est d’une grande courtoisie, et si peu imbu de ses qualités que seules des questions directes révèlent sa mention au bac, sa bonne réputation scolaire, la fierté de ses parents.
Il parle souvent de son mentor « Robert » qui, ayant vite reconnu son potentiel, lui a suggéré de passer le concours d’entrée de Sciences Po en septembre dernier,  non pas par le biais des quotas pour jeunes de milieu défavorisé, mais en frappant à la grande porte. « Je n’ai pas vu beaucoup d’enfants d’immigrés au concours. » La porte ne s’est pas ouverte, mais, déjà content d’en être arrivé là, il entend frapper à nouveau dans deux ans, muni du diplôme universitaire pour lequel il est inscrit à Laon. « Ce qui m’intéresse ce sont les relations internationales. » Jamel attribue une valeur suprême aux échanges entre les personnes. « Je m’entends très bien avec une famille ici qui a voté Le Pen. Chacun ses idées. » Succédera-t-il un jour à Robert Foreau comme président de l’Adefram ?
Comment définir l’appartenance d’un enfant d’immigrés ? « Je suis français, heureux de l’être, et mon sang est marocain. » Il apprécie le cadre de vie de ses parents – « ils sont nés au Maroc » - mais ne se voit pas maintenir toutes les traditions. Il est pratiquant. « Pour la prière, nous rattrapons le soir à la maison. » Et la communauté marocaine de Belleu ? « On ne nous écoute pas beaucoup. » Des initiatives ont trouvé peu d’écho auprès de la municipalité. Mais la solution pour Jamel est toujours de promouvoir les bonnes relations, jamais la confrontation violente.
Son avenir ? Il sourit. « J’aimerais être, pourquoi pas, ambassadeur de France au Maroc. » Il s’agirait, à l’entendre, moins d’ambition que d’inspiration, une lumière éblouissante qu’il pourra suivre pour aller toujours plus loin.
L’Union

Le Noël des philosophes


Emmanuel Mousset.

L’attitude des confiseurs, des croyants, des enfants envers Noël est bien documentée. Restait à avoir l’avis des philosophes. Le « Café philo » de Soissons s’est chargé de le donner, en posant la question « Pourquoi faire la fête ? »
Depuis trois ans, de tels thèmes sont scrutés aux réunions organisées par Rencontre Citoy’Aisne au café La Havana. La démarche peut paraître prétentieuse ou, pire, ennuyeuse, mais le philosophe Emmanuel Mousset, venu de Saint Quentin animer le débat, maintient un ton léger, même pour parler de choses sérieuses. Il encourage, suscite, provoque la participation. Il interpelle les clients au comptoir. « Comment vous faites la fête, vous ? » Le processus consiste à faire éclater la question en un tas de petites interrogations, pour éveiller la réflexion. Peut-on faire la fête tout seul ? Pourquoi fêter les anniversaires ?
Les participants sont loin d’être tous pareils. L’un apporte trois denses pages de notes, évoquant les principes freudiens du plaisir et de la réalité. D’autres improvisent, ou préfèrent l’écoute à la parole. Tous sont acceptés, sans hiérarchisation.
La réunion finit par un tour de table pour savoir la fête préférée de chacun. Sans que le choix soit unanime, Noël gagne la partie. En cadeau, les philosophes, de profession ou d’esprit, remportent leur question, mais rendue plus lumineuse par la pensée et les échanges. C’est ça, la philo.
L’Union

06/12/2006

Elisabeth Verdavaine : rendre visibles, puis invisibles


L’ambiance réjouirait un cafetier. Les gens s’interpellent, rient, discutent, commandent leur café ou chocolat, ou bien s’asseyent tranquilles, comme dans un bar où l’on se sent en sécurité. Au milieu, sobre, soignée, circonspecte, Elisabeth Verdavaine préside pourtant l’attroupement. C’est le « Tiot café » du jeudi soir, au local d’Arts-Culture-Sports, une association pour les adultes handicapés mentaux, dont elle est présidente depuis deux ans.
      Née à Aix-en-Provence, de parents qui se déplacent beaucoup, un père mineur de fond venu du Nord, et une mère avignonnaise impulsive et extravagante – « mais c’est grâce à elle que j’aime lire » - Elisabeth suit de courtes études de chimie à Montpellier. Elle arrive à l’usine de la Rochette à Soissons à dix-huit ans comme technicienne chimiste. Une épreuve, ce départ si jeune ? « Non, la vie était belle ! » Elle y travaille encore aujourd’hui.
      Elle se marie et, six ans plus tard, le couple a un fils, Sylvain. Après quelques mois une nourrice constate une absence de développement. Des examens plus approfondis révèlent un handicap mental, une épilepsie.
      Le père de Sylvain tient à le maintenir dans le cursus classique. Il reste en CP jusqu’à la fin du primaire. Au collège de Presles il est confronté à des attitudes contrastées. Il assiste tranquillement au cours de français, mais son professeur de mathématiques lui donne des lignes interminables parce qu’il ne peut pas copier la consigne sur le tableau, et ne rapporte pas ses devoirs. « Il est ici : il doit être traité comme les autres. » Refuser de voir la différence est une forme d’exclusion autant que de ne voir qu’elle. « Si je vois sa voiture j’en crève tous les pneus » rage Sylvain, impuissant.
      Les divergences entre ses parents à son égard s’aiguisent « Le ménage s’est défait. » Elisabeth se tourne vers les groupes de soutien pour familles d’handicapés, dont les Papillons blancs. Sylvain suit une formation, et est maintenant menuisier dans un centre d’aide au travail.
En 1990, elle se remarie avec Michel, devenu depuis militant contre l’exclusion, et aujourd’hui secrétaire de l’ACS. « Je suis timide, nouée quand je dois prendre la parole, mais je n’ai pas le choix. »
      Elisabeth converse posément, aimablement, sans s’épancher sur les difficultés de la vie, sans doute pour avoir appris depuis longtemps à gérer le malheur au lieu de le subir.
      Les enfants handicapés sont souvent touchants ; les adultes désavantagés gênent plutôt. L’ACS entend favoriser leur intégration dans la société, en proposant toutes sortes d’activités, de la pétanque au théâtre. Elisabeth Verdavaine et les autres parents cherchent à les rendre ainsi plus visibles, en souhaitant qu’un jour leurs handicaps deviennent invisibles.
ACS  Tél. 06 83 02 35 
L’Union

01/12/2006

Les soufis à Belleu : un intense recueillement


Un grand tapis oriental couvre l’emplacement habituel de l’autel dans l’église de Belleu. Autour de ce tapis, une vingtaine d’hommes et de femmes habillés de djellabas blanc ou ivoire, agenouillés ou assis en tailleur. Sur le mur du fond, le sacré cœur aux rayons dorés. Le chœur de la confrérie soufie d’Alawiyya est venu de la région parisienne y donner un récital de chants sacrés de l’Islam. Au premier rang de l’assistance, le curé de la paroisse. Derrière lui, une assemblée mixte de chrétiens, musulmans – et mélomanes.
Le soufisme est la voie mystique par laquelle les fidèles cherchent, non pas à suivre une doctrine, mais à saisir la réalité divine même. Les chants, a priori étrangers aux oreilles européennes, en fait rappellent par moments le chant grégorien ; à d’autres, lorsqu’une voix de femme fait de hautes pirouettes, au dessus du nom « Allah » répété par les autres choristes, il y a comme une résonance de certaines chansons irlandaises.
Alors, un concert qu’on écoute, ou un rite auquel on participe ? La même question peut se poser pour une messe de Bach jouée dans une salle de concert. Ici, c’est l’intense recueillement des choristes qui en fait un acte de dévotion. Comme à la messe, quelques voix dans l’église se joignent au chœur.
Pour le directeur du chœur, Bentabet Sahli, l’événement montre « l’unicité de l’être dans la multiplicité des individus », preuve que l’esprit avance sur un seul chemin : seul le moyen de locomotion diffère.
L’Union