30/11/2009

Journée mondiale Sida : la lutte continue à Soissons


Demain, Journée mondiale de lutte contre le Sida, deux intervenants animeront des séances de sensibilisation et de témoignage au lycée Gérard de Nerval.

Daniel Mariette travaille dans le vaste complexe de l’hôpital Cochin à Paris, et nous parlons dans le cloître. Il a découvert sa séropositivité il y a six ans. « Mais la maladie restait virtuelle, c’est le début du traitement il y a deux ans qui m’a porté le vrai coup. » Il est actuellement en phase d’adaptation à de nouveaux médicaments, toujours une période lourde. Comment fait-il pour rester si souriant ? « La vie continue. » C’est banal, mais aussi une déclaration d’amour à cette vie. « Je souffre, mais il en faut beaucoup pour que j’y cède. Je travaille. » Né à Toulouse, il est monté travailler à Paris il y a une vingtaine d’années. Actuellement reconnu handicapé, il est passé d’une activité d’aide-soignant à un service administratif.
Il est déjà intervenu à Nerval en 2008. « Cela m’a rassuré, de voir que je pouvais parler sans problème devant ces jeunes. » Il répondra aux questions sur la maladie, la prévention, lui-même, la situation des gays.
Retrouvée à Arc-en-Ciel, centre parisien d’accueil pour les séropositifs, Grethe Gravesen est membre aussi de l’association soissonnaise Soutiens-sida. Nous sommes constamment interrompus, car tous ceux qui passent la connaissent, et elle les connaît tous. Danoise vivant depuis longtemps à Paris, elle fait partie d’une équipe de bénévoles à l’hôpital. Depuis sa retraite d’un jardin d’enfants, elle part chaque année au Cambodge, aider dans un orphelinat et accompagner des malades (« qui y meurent encore nombreux du Sida »). Après sa première visite, sans connaître personne – elle savait seulement combien elle devait payer le taxi de l’aéroport au centre ville - elle a fait sa place, et elle est attendue avec impatience janvier prochain.
D’où vient son engagement ? A l’origine, Grethe a été émue par le secret qui enveloppait le Sida, et l’orientation sexuelle de beaucoup de ceux qui en souffraient. En 1996, deux amis venaient de mourir, chacun sans le soutien de sa famille. «Je n’ai pas supporté qu’ils aient dû cacher non seulement ce qu’ils avaient, mais aussi ce qu’ils étaient
Grethe parlera aux élèves de la prévention du Sida, de ses aventures cambodgiennes. Quand compte-elle s’arrêter ? « Quand je ne pourrai plus monter derrière sur une moto à Pnom Penh ! »
L’Union

28/11/2009

"Oscar" : le sujet de la danse

Le « Guetteur », compagnie en résidence à Soissons, a donné son nouveau ballet « Oscar », l’après-midi devant un public scolaire, le soir devant un public avec aussi beaucoup de jeunes.
Le directeur Luc Petton s’est inspiré d’un ballet d’Oskar Schlemmer, membre du Bauhaus, mouvement allemand de renouvellement artistique des années 20. Les costumes de scène géométriques de Schlemmer soulignaient, par leur immobilité, la mobilité du corps humain qui les portait.
« Oscar » charge, décore, affuble ou arme les six danseurs de bâtons en bois. Ils les portent, souvent fixés à leurs membres, les tirent, les poussent, les font tournoyer, s’en servent comme perches à sauter. Le plaisir est dans la beauté des mouvements, joyeux ou recueillis, mais aussi dans l’ingéniosité de Petton.
Le ballet tient du cours de géométrie dans l’espace, et du cours d’anatomie en rendant éloquente l’articulation de tel membre par le mouvement réciproque du bâton qui le prolonge. Les bâtons et accessoires peuvent encombrer et ralentir les corps, comme ils peuvent leur donner des ailes. La rigidité est toujours en contrepoint à la fluidité des danseurs.
Il y a des anecdotes momentanées, mais pas d’intrigue. Le chorégraphe Merce Cunningham l’avait dit : « Le sujet de la danse, c’est la danse. » En voici un exemple jouissif, qui promet pour la suite de cette résidence.
L’Union

Heureux après le spectacle : (de g. à dr.) Pascal Giordano, Céline Coessens, Mélisande Carré Angeli, Aurore Castan Aïn, Tuomas Lahti, Cyrille Bochew.

26/11/2009

Voyager dans les émotions


« Je ne suis pas là pour délivrer mon savoir. » Vincent Dussart de la compagnie de l’Arcade explique l’« analyse théâtrale » proposée aux spectateurs ayant assisté à « Œdipe » au Mail (voir Œdipe : pour ne pas voir). Il sait qu’une « compagnie en résidence » démarre modestement. « Elle fait sa place petit à petit. » Sa modestie est justifiée : cette intervention n’a attiré aucun spectateur soissonnais. Pas découragé, il saisit l’occasion d’exposer sa démarche.
Il tente avant tout de susciter les réactions. A la question « Pourquoi ? » il répondra en demandant le ressenti de la personne : « Qu’est-ce cela vous a fait ? » Une résidence entend enrichir l’expérience du théâtre, non pas en fournissant des informations, mais en amenant le spectateur à s’exprimer. « Pour la danse ou la musique, on ne demande pas « ce que ça veut dire », alors qu’on vient au théâtre surtout avec sa tête. » Par de tels échanges, des ateliers d’écriture, des lectures, l’Arcade espère faire du théâtre un voyage autant dans les émotions que dans l’intellect.
L’Union

21/11/2009

Voir le monde au théâtre

Pour une quarantaine de spectateurs, « Œdipe » (voir Œdipe : pour ne pas voir)est le début d’une formation. Enseignants et stagiaires d’IUFM, ils se retrouveront ensuite à Chauny, dans le cadre de « Je vais au théâtre voir le monde », un projet de l’Inspection académique, coordonné par Philippe Chatton. C’est une action expérimentale, première dans la région, l’objectif étant d’accompagner la rencontre entre les enfants et le spectacle vivant.
Sensibilisés à l’analyse théâtrale, ces enseignants sauront préparer leurs élèves pour ce contact. Sans préparation, le théâtre peut rebuter des enfants habitués aux DVD, à la télévision, à la musique enregistrée. L’objectif sera de les amener, au contraire, à réagir en spectateurs actifs, critiques avisés, puis à jouer et à écrire eux-mêmes. L’Aisne se trouve à la traîne pour la lecture, et ce contact avec le théâtre pourra, par son intensité, aider à y remédier.
L’Union



Philippe Chatton (à gauche), coordonnateur et Gilles Avinain, inspecteur d’Académie, présentent « Je vais au théâtre voir le monde ».

Pour ne pas voir : Œdipe au Mail

Tuer son père, coucher avec sa mère, femme du père, c'est mettre une violence insoutenable au cœur de la succession des générations, détruire la transmission naturelle de l'autorité dans la famille. Comme le montre « Œdipe » de Sophocle au théâtre du Mail, peu importe si parricide et inceste sont conscients ou non : le destin ne tient pas compte des intentions.
Œdipe se débat pour ne pas reconnaître la vérité de son forfait. Enfant abandonné par son père, le roi de Thèbes condamné selon l’oracle à être tué par son fils, il ignore son identité. Il rencontre son père, le tue dans une dispute, est fait roi de Thèbes à sa place, et épouse la reine, sa mère, tout sans le savoir.
Lorsque le témoignage d’un berger le met face à une vérité qu’il ne veut pas voir, il se crève les yeux pour ne plus rien voir du tout. Cela ne le soulage pas du fardeau : seule la distante mort le délivrera.
Les comédiens de la compagnie du Troisième Œil portent cette tragédie avec truculence et humour. La plupart sont infirmes du corps, de la voix ou des yeux – infirmités qui rappellent à leur façon les coquetteries du destin. Bruno Netter, qui joue le vieil Œdipe, est aveugle. Cela rend-t-il son jeu plus naturaliste ? Au contraire, l’écart entre sa cécité réelle et celle qu’il joue est ce qui permet au théâtre de réaliser une cérémonie libératrice, au lieu de raconter seulement une histoire.
L’Union










L’acteur Bruno Netter (Œdipe) est aveugle, Monica Companys (sa fille Antigone) est sourde.

18/11/2009

Marie-France : aider les autres, chanter pour elle-même


Marie-France et Jean dans leur jardin de Chacrise.

Avec l’entrain qu’on lui reconnait à Chacrise, Marie-France Jakubiec reçoit chez elle, dans une de ces maisons où des dépendances, alignées avec la petite habitation d’origine, ont été ouvertes et transformées pour faire une résidence toute en longueur, devant un grand jardin et un verger.
Elle est née dans le village, mais au Familistère, l’épicerie tenue par ses parents et disparue depuis, comme la charcuterie, le boucher, le café, les petites entreprises – et le prêtre. Comme tant de villages, il sonne creux.
Elève en comptabilité à Soissons, à seize ans elle a l’occasion de travailler à la Perception d’Oulchy, chef-lieu du canton. Elle devient fonctionnaire des Impôts, et le restera jusqu’à la retraite.
Enfant, elle joue avec Jean Jakubiec, venu chaque été du Nord chez une Polonaise de Chacrise. En grandissant, ils en viennent à « se fréquenter ». Jean montre son empressement en faisant les 140 kilomètres en vélo. Mais il appartient au monde fermé des Polonais du Nord et, lorsqu’il annonce ses intentions, le prêtre l’avertit du danger de se marier « avec une Française ». Il passe outre, et ils s’installent à Douai. Jean devient professeur.
En 1995 ils rentrent à Chacrise, et Marie-France finit sa carrière là elle l’a commencée, à Oulchy. Ils participent pleinement à la vie locale. « J’avais envie de reprendre le café. » Ainsi elle aurait comblé ce vide au cœur du village.
Retraitée, Marie-France cherche d’autres engagements. Elle devient bénévole aux Restos du cœur. « J’étais aux entretiens d’accueil, et j’entendais donc toutes les misères. Je rentrais en pleurant. » Elle fait une pause. Mais sa disponibilité fait qu’elle est souvent sollicitée. Secrétaire des archers, vice-présidente du Temps libre, elle multiplie les bénévolats.
Et la chorale Not’en Chœur, raison même de cet entretien ? Marie-France éclate de rire : « Chanter, c’est pour moi-même ! » Cet ensemble, au répertoire de variétés françaises et de gospel, existe depuis une dizaine d’années, et elle en fait partie depuis 2005.
Sa sociabilité, elle en rit : « Un chien avec un chapeau, je lui parle ! »  Son énergie la porte naturellement vers les autres. Généreuse avec son temps, généreuse tout court. Marie-France quitte la pièce un moment. « Vous prendrez cet échantillon de mes confitures : figues, lait, prunes. » Jean offre des noix, empilés dans des caisses. C’est l’automne.
L’Union

Hé Œdipe, ça va la famille ?


Le projet « Ca va la famille » de la compagnie de l’Arcade, résidente à Soissons, entend situer l’individu dans son appartenance à une famille. La veille de la représentation d’« Œdipe » par la compagnie de Bruno Netter, elle a saisi l’occasion de revenir sur l’histoire familiale qui précède et entoure ce mythe fondateur. Dans la crypte de Saint Léger – lieu qui pourrait évoquer le sous-conscient – Vincent Dussart et Anne de Rocquigny ont lu des textes contemporains traitant du sujet. Wasdi Mouawad relie le drame individuel d’Œdipe à l’histoire de ses ascendants. Il explique la malédiction placée sur le père d’Œdipe pour avoir violé un jeune homme, et qui s’est perpétuée dans sa descendance. Les autres auteurs étaient Eugène Durif et Michel Azama. Les deux comédiens ont su donner tout leur poids à ces mots sans perdre l’intimité du petit groupe venu les entendre. Ils ont fait un pas vers le but du projet : faire résonner le contexte familial qui forme et que forme chacun.
L’Union




Vincent Dussart et Anne de Rocquigny fouillent le contexte familial du mythe œdipien.

14/11/2009

La Renaissance se gausse

Une soirée de chant polyphonique de la Renaissance. Pour les musicologues, plutôt que le tout-venant des mélomanes ? Dans la chapelle Saint Charles, froide comme… une chapelle en novembre, une table est dressée, recouverte d'un drap gris et couvert de papiers, comme pour une soutenance de thèse. Encore plus rebutant. Le jury prend place, et le ton vire aussitôt au joyeux. Car les membres de l'ensemble Clément Janequin, pas austères pour deux sous, partagent des sourires déjà complices avec le public, ne seront jamais loin de se gausser de plaisir.Tout reste de solennité fait pschitttt ! quand ils ouvrent la bouche. Les œuvres de Janequin et d'autres compositeurs du 16e, qui chantent l'humour, l'amour, la nature, sont souvent taquines à l'égard des femmes : « Ton cul servira de trompette, et ton devant fera la fête. »
La complexité de la polyphonie ne rebute pas, elle fouette. C'est comme si cinq récitals individuels n'étaient réunis que par la magie de la coïncidence. S'envole au-dessus des autres la voix étonnante du contre-ténor Dominique Visse, à la fois haut placée et ancrée dans son corps d'homme. La jouissance atteint un sommet avec la réplique de chants d'oiseaux. Le public réagit alors avec une chaleur inversement proportionnelle à la température de la salle.
 L'Union









A gauche Eric Bellocq au luth, Renaud Delaigue, Dominique Visse, Hugues Primard, Vincent Bouchot, François Fauché.

11/11/2009

La célébrité aidant


La solidarité des natifs de l’ancienne cité d’urgence du Bois des Sapins est légendaire, mais le passage du temps fait qu’ils se reconnaissent moins facilement dans la rue. La parution du portrait de Francis Diot (La vie d'une cité du 7 novembre) dans la série des Chemins de l'engagement a rafraîchi les mémoires : « Beaucoup me parlent. » Ici (à droite) avec Jean-Pierre Happillon, croisé au café, et né lui aussi né à la cité, les souvenirs se bousculent…
L’Union

07/11/2009

Francis Diot : la vie d'une cité

« Après avoir travaillé pendant plus de quarante ans avec les mêmes gens, j’ai pris ma retraite, et du jour au lendemain j’ai vu que ce n’étaient que des relations de travail. » C’est à ce moment, désemparé, que Francis Diot apprend une initiative d’un ancien camarade d’école. Jean-Paul Belaïd lance un appel sur le site « Les copains d’abord » aux classes 1958-59 de l’école du Tour de Ville à Soissons. La réponse est impressionnante. Une réunion a lieu en septembre 2008. Arrivés de partout les enfants, devenus adultes, se retrouvent après un demi-siècle. Francis est l’un d’eux.
Francis Diot joue l'accordéon de son père.
D’où vient la force de ce lien-là ? « Les enfants sont insouciants » selon Francis, et le souvenir de cette insouciance, derrière le masque adulte, rend de telles retrouvailles faciles. Il y a un air de cour de récréation.
Ils partagent une autre partie du passé. Beaucoup des participants ont grandi dans la cité du Bois des Sapins, montée d’urgence après la destruction de la ville en 14-18. L’urgence s’étant éternisée, les derniers baraquements n’ont été démontés que lors de la construction de logements sociaux dans les années 70.
De sinistres alignements de baraques ? Pas du tout : Jean-Paul Belaïd rappelle « les petites maisons, les poulaillers, les jardins, les terrains de jeux et les étangs ». Mais aucun confort : des points d’eau aux coins de rue, une cuisinière pour seul chauffage, pas d’électricité, sauf quand certains l’installent, comme le père de Francis, égoutier à la Ville, pour ses huit enfants.
La solidarité est puissante : « Nous ne fermions jamais la porte à clef. ». Sa femme Nicole, enfant unique d’une famille plus aisée, en est à lui envier ce passé d’enfant de la cité.
Les gens ont aussi envie de s’en sortir, et du travail il y en a à l’époque. Francis est recruté aux cartonneries de Villeneuve, et finit cadre.
Comme son père, il joue de l’accordéon. « A dix ans je jouais dans les épiceries. Quelqu’un passait une casquette. » Il anime encore des réunions, cherchant moins à époustoufler par sa technique qu’à accompagner en musique la convivialité.
En l’absence d’archives, « comme si la ville en avait honte », il entreprend l’écriture d’un livre de témoignages. Pour Francis, il parle de « la vie des cités » où qu’elle se soit menée. C’est aussi un voyage en lui-même, vers ses racines. Il a commencé une suite. A travers l’Amicale, le Bois des Sapins reste ainsi vivant.
L’Union

04/11/2009

Cirque plein d'air : jouer avec les corps


Le « Cirque plein d’air »recrée l’aventure dans laquelle, auparavant, des saltimbanques montaient leur chapiteau, jouaient devant une population étonnée, puis s’en allaient par le chemin sur lequel ils étaient venus.
Anne Desmoucelles et Joseph Defromont, artistes de cirque, et Inouk Crespin, musicien, ont bâti eux-mêmes leur yourte-chapiteau, rouge comme des tentures de théâtre. Deux gradins entourent la piste. Ils l’ont montée à Acy-le-Haut, un écriteau devant pour annoncer l’événement. Difficile en le lisant de ne pas frémir à l’idée « d’aller au cirque ».
Leur spectacle raconte l’amour, la guerre, le vieillissement, en faisant reculer ou avancer les aiguilles d’une vieille pendule. La musique d’accordéon entêtante d’Inouk l’accompagne, et les tours de voltige d’Anne et de Joseph viennent illustrer l’histoire, époustouflant les spectateurs, car seuls quelques dizaines de centimètres les en séparent.
A présent, la télévision apporte une distraction continue dans les foyers. Ce cirque nous ramène au temps des artistes itinérants qui jouaient avec leur corps, pour des communautés isolées qui voyaient le corps surtout comme un outil.
L’Union









Heureux après leur spectacle,
Joseph Defromont (à droite),
Anne Desmoucelles et Inouk Crespin.