28/02/2007

Libby Morgan : le yoga contre le surmenage


Libby Morgan (née Elizabeth en Angleterre), présidente de l’Association pour la Promotion du Yoga à Soissons, montre une redoutable énergie. Elle l’admet avec la candeur désarmante d’une Britannique bien élevée. C’est comme un moteur qui n’a qu’à ronronner pour faire fonctionner une usine.
Après une enfance à la campagne, elle termine ses études secondaires dans un internat de garçons. « Je voulais être vétérinaire, et il fallait une option scientifique, peu disponible à l’époque pour les filles. »
En quittant l’école, elle rend visite à une famille dans la vallée de la Loire. Juste avant de repartir, elle a un grave accident, en conduisant un attelage qui se renverse. « Plein de dégâts. On m’enlève 150 centimètres d’intestin. » Elle reste un an de plus, « fille au pair pour une vingtaine de chevaux », puis rentre en Angleterre.
Son métier voulu devenant impossible, elle suit une formation et travaille. Mais en 1979 elle part à Paris, comme ça, sans rien prévoir. Après une période dans une société comptable « au 40e étage », elle trouve un poste autrement prenant, assistante de protocole à l’ambassade d’Angleterre. En 1983 elle devient intendante de la résidence de l’ambassadeur, cet ancien palais de Pauline Borghèse acheté par le Duc de Wellington « avant la bataille de Waterloo ». Son travail implique la gestion quotidienne des locaux, qui reçoivent seize mille invités chaque année, mais aussi du programme de restauration. « J’allais à Lyon voir des soies, à Versailles pour la dorure. » Il y a de grands fastes et de dures besognes – porter une robe prêtée par la maison Lanvin dans les salons lors d’une visite de la Reine, puis monter sur le toit en bleus de travail avec les couvreurs au petit matin.
Libby et son mari photographe quittent Paris pour la campagne, à Longpont. Après de longues tentatives pour avoir un enfant, déception sur déception, un dernier essai et Victoria et Alice viennent au monde. A l’ambassade, elle quitte son poste trop accaparant pour s’occuper des ressources humaines.
Plus tard, Libby est à Louâtre, divorcée, avec les jumelles. Leur maison prend feu une nuit, et elle ne sauve qu’elles. « Tout perdu, photos, vêtements, jouets, tout. Tu ne reconnais rien. »
Aujourd’hui, à la veille de son remariage avec un Ecossais, Libby quitte son emploi pour être mère au foyer. « Merveilleux. Plus tard, je fonderai peut-être ma propre société. »
Le yoga expliquerait sa poigne ? Elle voit les choses autrement. « Je me surmène depuis toujours, moi-même et les autres, et le yoga m’aide à m’arrêter. » Ses cours avec Jean Greffet, professeur de l’association, lui apprennent des gestes qui apaisent. « Mettre dix minutes pour passer de la position debout à la position assise …. » Pour Libby Morgan, qui n’a jamais de sa vie pris le temps de s’ennuyer, c’est un exploit que d’aller lentement.
L’Union

26/02/2007

Grethe Gravesen : le Sida et une journée à Pnom Penh

Après plus d’une décennie de bénévolat parmi les personnes atteintes du Sida, Grethe Gravesen revient toujours à sa première motivation. « Un ami est venu mourir du Sida dans un village près de Soissons, et je n’ai pas supporté le secret autour tant de sa maladie que de son orientation sexuelle. Il devait cacher, non seulement ce qu’il avait, mais ce qu’il était. »
Elle est devenue alors volontaire de l’association Aides dans un hôpital à Paris, en restant proche de l’association soissonnaise Soutiens-Sida. Danoise vivant depuis longtemps en France, et ayant pris sa retraite du jardin d’enfants qu’elle avait fondé, elle a décidé en 2006 de partir seule au Cambodge, où « le gouvernement ne veut pas voir le problème du Sida. » A son retour, elle a évoqué ses aventures (voir « Grethe Gravesen, activiste Vih/Sida au Cambodge » du 19/03/06).
S’étant engagée envers ceux avec lesquels elle avait travaillé, et pour aller plus loin, elle est repartie en janvier pour quelques mois. Elle nous raconte une journée type à Pnom Penh.
« Le soleil se lève à six heures, et se couche à six heures, chaque fois dans dix minutes, sans crépuscule. Je m’éveille au son des chats, chiens et coqs. C’est comme à Haïti, la même misère, le même vacarme. » Et chaque matin le même dilemme : le petit déjeuner. « C’est le poisson au riz ou la soupe au poisson. L’autre jour, j’ai eu une soupe de chèvre. Ayant déniché du café soluble et du lait, j’arrive à avaler le reste. »
Ensuite, elle affronte la poussière et le bruit pour aller travailler. Parfois elle se rend à l’hôpital avec le médecin khmer chez qui elle habite, pour accompagner des malades en phase terminale. Il y a deux ou trois morts par semaine.
Ou bien elle travaille dans un foyer pour les orphelins de parents morts du Sida, où son savoir professionnel la rend utile. Elle leur apprend l’anglais – « mais l’anglais khmer, très différent de l’anglais anglais – le professeur traduit quand je parle ! »
Elle s’occupe aussi d’un village d’ex-prostituées – dont certaines ne seraient pas si « ex » que ça – où elle est « la dame hygiène ». C’est en dehors de la vile, et elle s’y rend derrière son motard attitré : « la vie n’est pas dangereuse, mais la pauvreté est telle qu’un inconnu, avec une vieille dame comme moi …. ».
Sa nourriture reste un problème. « Tous les jours, du poisson et du riz, alors je vais maintenant au marché pour faire mes achats. Mais il faut marchander. » A l’étonnement général, Grethe apprend à présent le khmer.
Après son travail, elle rentre. « Je ne sors pas le soir, c’est trop risqué de revenir seule. »
La misère est partout. L’année dernière, elle a vu mourir par terre une fille malade du Sida, faute de lit. Une autre femme, trop pauvre pour prétendre à une maison, vivait sur des planches sous une cabane sur pilotis, juste au-dessus de l’eau.
L’Union

24/02/2007

"Casse-noisette" : comme par enchantement


Le défi pour chaque production d’un grand ballet classique est de maintenir l’enchantement sans tomber dans l’absurdité. Le « Casse-noisette » du Ballet national de Kiev en Ukraine l’a relevé à sa façon, pour danser cette histoire d’une fillette, comblée de cadeaux de Noël et qui rentre dans un monde magique. Ses jouets s’animent. Ultime rêve, la poupée casse-noisette s’éveille prince, n’existant que par amour pour elle.
Les enfants perçoivent par nature l’enchantement d’un tel conte qui, disent les psychanalystes, les aide même à mieux vivre les passages de la vie. Pour les grandes personnes, il s’agit plutôt d’un retour à  l’enfance le temps du spectacle, la suspension de leur incrédulité adulte facilitée par l’éclat de la danse, de la musique, des couleurs, des costumes.
Car la danse classique impose une esthétique loin de notre quotidien. Notamment, les hommes gomment toute brusquerie mâle, pour incarner des créatures romantiques dont rêveraient de jeunes filles en fleur.
Cela frise l’absurde, que seule une rigueur extrême de style évite. Chez les danseurs de Kiev, la façade romantique cède sur des détails, un regard loin, un mouvement à côté, des costumes moins que somptueux (mais c’est un rappel salutaire que pas toutes les troupes ne reçoivent de grasses subventions culturelles). Certes, un orchestre ferait crever le budget de leur tournée en France, mais l’enregistrement strident est loin de porter le ballet comme le feraient des musiciens dans la fosse.
Cependant le plus important, cette élégance qui cache tout effort, où seuls les flancs qui palpitent pendant les saluts trahissent l’essoufflement, était parfaite.
    Ce sont des commentaires d’adulte. Les yeux des petites filles dans la salle montraient, non pas un regard critique, mais l’espoir d’être un jour, elles, sur scène, à danser toute cette beauté, puis à saluer leur public. D’ailleurs, des éléments comme les élévations spectaculaires sur la partition fastueuse de Tchaïkowski devaient faire courir le sang dans les veines même des plus rétifs des spectateurs.    L'Union







Devant la glace des loges, Evgeny Lagunov
et Cristina Balaban, prince et jeune fille sur
scène, mari et femme en ville.

19/02/2007

Aglaé Simoës à l’aventure en Bulgarie


La Bulgarie est entrée dans l’Union européenne au début de l’année. Aglaé Simoës de Braine, étudiante en sociologie à Lille, mais qui passe une année universitaire à Plovdiv en Bulgarie, a tout vu. Comment se sont passées les réjouissances pour marquer cet événement ? « En fait, j’ai vu seulement des gens dans la rue qui faisaient signer une pétition contre la nouvelle interdiction de distiller leur propre rakia » – le rakia étant un redoutable alcool à base de jus de fruit fermenté. L’idée de l’Europe a du mal à surmonter les préoccupations personnelles.
Aglaé a fait goûter le rakia autour d’elle pendant un retour rapide à Braine, pour assister à une soirée organisée par Madomé, l’association de coopération avec un village du Mali, dont elle est membre. Elle devait y rendre compte d’un voyage en 2006, quand un groupe de jeunes, dont elle-même, a clôturé un terrain dans le village. Son engagement humanitaire a d’ailleurs été démontré dans « Aglaé Simoës : par curiosité d'esprit » du 01/02/06.
Elle est partie en Bulgarie en vertu d’un accord bulgare avec l’université de Lille. Plovdiv est une des plus anciennes villes d’Europe, contemporaine de Troie et de Mycènes, puis centre romain, berceau du nationalisme sous les Ottomans, et où le mouvement démocratique qui a amené la fin du régime communiste en 1989 a pris pied.
Flûtiste depuis des années au Conservatoire de Soissons, elle suit des cours d’ethnomusicologie. Seulement, le bulgare est une barrière à toute compréhension de ce qui se passe, et elle peine à l’acquérir. L’utilisation de l’alphabet cyrillique rend opaques même les mots simples. Elle déchiffre les lettres comme on compose un puzzle, et sait écrire son adresse. Elle habite – en colocation avec deux Espagnoles – « Kioutchouk Parich. », vieux quartier turc délabré qu’on nomme ainsi, par dérision, « Petit Paris ».
Elle assiste avec assiduité aux cours, pour montrer sa bonne volonté. « Comme je n’y comprends pas grande chose, si en plus je n’y vais pas… » Par son caractère, Aglaé se donne à fond à ce qui se présente dans sa vie :  il importe moins d'amasser des connaissances avec tant de mal, que de se débrouiller dans un contexte à la fois étranger et étrange.
Si tout avait été accessible et simple, Aglaé serait rentrée avec une bonne connaissance des musiques slaves, des notions d’une langue slave, et des anecdotes à raconter. Plongée jusqu’au cou comme elle est dans cette aventure déroutante en Europe de l’est, dans un pays au passé tumultueux, au présent vacillant, au futur incertain, elle y touche sans doute à quelque chose de profond, d’intime, un sens du pays plus qu’un savoir. Plus tard, sociologue, elle sera préoccupée par des données précises et statistiques. A Plovdiv elle accumule des richesses moins académiques qu’humaines, moins sociologiques qu’impressionnistes.
L’Union

14/02/2007

Marie-Dominique Hannedouche : un mi-temps bénévole


Un tableau peut se voir en passant devant, la musique s’entendre pendant un trajet en voiture, un buste en marbre servir pour poser son chapeau. Mais un livre, ce curieux assemblage de feuilles, jointes d’un côté et recouvertes de signes, exige, en plus du long apprentissage de la lecture, un investissement par le lecteur pour en tirer quelque chose.
Présidente pour l’Aisne de la Bibliothèque pour Tous, Marie-Dominique Hannedouche anime des ateliers de lecture pour des enfants de six à dix-huit mois. « Ils se familiarisent ainsi avec les livres, et je lis chaque fois une histoire, toujours la même. » Les enfants jouent avec les livres comme avec tout jouet. Mais à entendre la voix qui raconte, ils s’aperçoivent que ces objets contiennent un autre trésor : une histoire. Cela, espère-t-on, est le début d’une longue camaraderie avec la lecture.
Marie-Dominique naît près de Lille, dans une famille du milieu du textile et des meubles. Voulant travailler avec des enfants, elle suit des études d’éducatrice. Mais après son diplôme, elle se joint d’abord à l’équipe de Norbert Ségard, ministre lillois du gouvernement Chirac.
Elle rencontre son futur mari, étudiant à Lille. Après leur mariage, et la naissance d’un premier enfant, il s’établit à Soissons en 1982 comme expert-comptable. Ils habitent Ambleny, ensuite Soissons. Regrette-t-elle la grande ville ? « J’aime ici, les beaux villages, la campagne à portée de vélo ». Son enthousiasme et son amabilité sont soutenus.
Elle s’occupe enfin d’enfants, ses quatre filles et fils. « Etre mère au foyer n’a pas un bon écho. Nettoyer les casseroles et les enfants. » Mais elle y tient, et profite de l’heure de la sieste pour lire.
En 1991 elle devient membre du comité de lecture de la Bibliothèque pour Tous, qui se distingue par le fait que les bibliothécaires lisent chaque livre, pour pouvoir conseiller les lecteurs. « Nous connaissons leurs préférences, leurs réticences. Et cela nous fait lire des livres qu’on n’aurait pas choisis. » Un livre est prêté pour le vingtième de son prix d’achat, ce qui permet le renouvellement du stock.
Dans l’équipe qui distribue des livres à l’hôpital, Marie-Dominique s’occupe du service de pédiatrie, en coopérant avec l’institutrice et l’éducatrice. Sans avoir exercé sa profession, Marie-Dominique se dévoue ainsi, à l’hôpital comme dans ses ateliers, aux jeunes enfants. « Depuis quatre ans cela me fait un mi-temps bénévole. »
Mieux qu’un film avec son train d’images, le livre éveille chez le lecteur son propre imaginaire. Derrière les mots imprimés, il y a un monde que chaque lecteur recrée à partir de sa sensibilité. Pour Marie-Dominique Hannedouche « les livres offrent parfois l’évasion, parfois la confrontation ».
L’Union

04/02/2007

En classe à la cathédrale

Venus de Laon, Château Thierry, Compiègne, Senlis et Soissons, ils entrent dans la cathédrale de Soissons comme dans une vaste salle de classe, froide comme l’intérieur d’un frigo. Ce sont les lycéens qui prennent l’option Musique au bac, et ils ont ainsi l’occasion d’avoir un contact grandeur nature avec un des morceaux au programme, les « Litanies » de Jehan Alain, compositeur mort à 29 ans à la guerre en 1940.
    L’organiste Vincent Dupont utilise un écran pour expliquer le fonctionnement des orgues, alors que les illustrations sonores, du grognement du plus long tuyau au soupir du plus court, sont fournis aux orgues par Pierre Méa, titulaire de la cathédrale de Reims, qui parle ensuite du compositeur. Alain posait deux questions de fond sur sa musique : « Cà vous touche ? Vous y trouvez un peu de vous-même ? » Pierre Méa finit par jouer les « Litanies », permettant à ceux qui n’ont eu accès au morceau que par la partition et sur disque de l’entendre remplir tout l’espace de la cathédrale. C’est comme voir un film sur lecteur DVD et puis sur grand écran avec le son Dolby.
    Anne-Isabelle Ghetemme, inspectrice d’académie qui s’y occupe de l’éducation musicale, a remercié les Amis des Orgues de Soissons d’avoir soutenu financièrement ce récital-conférence.
    Après avoir déjeuné au Lycée Camille Claudel, ces lycéens, rejoints par des collégiens venus eux aussi du département, devaient assister au Mail à une conférence sur Jimi Hendrix, donnée par Nathalie Doyhamboure. De la litanie au rock, voilà le monde de la musique.
L’Union