28/03/2007

Philippe Meurs : un paysan d’abord


L’écurie transformée est évidée jusqu’au toit pentu pour faire une salle de séjour. C’est comme si Philippe Meurs, assis à la table au milieu, a besoin d’espace dans sa maison pour contenir ses engagements, ses idées, ses projets.
De ses engagements il parle volontiers, employant le mot pour évoquer l’énergie qui vient d’une conviction.
Influencé par les Frères de Campagne établis à l’époque à Oulchy, son engagement envers les autres a commencé en s’occupant des jeunes de la paroisse. Ensuite, il fait partie des « Léos », les petits des Lions Club, actifs dans le domaine humanitaire. Vient plus tard son adhésion aux Jeunes Agriculteurs, associés à la FNSEA, et la montée dans la hiérarchie jusqu’à la présidence nationale. Son mandat prendra fin en 2008.
Philippe a grandi sur la ferme près d’Oulchy le Château, et paraît ne jamais avoir envisagé de la quitter. Ses grands-parents, arrivés de la Belgique après la Grande Guerre, reprennent ces terres abandonnées.  Quand Philippe a onze ans son père décède, posant peut-être un défi supplémentaire à un fils plein de projets. Sa mère reprend l’exploitation avec deux parents, et actuellement Philippe est dans un Gaec avec un oncle et une tante sur 280 ha. « Je voudrais faire perdurer cette histoire. »
Il voit grand, mais sans jamais perdre le sens des réalités. « Tout seul on est rien. Seul on rêve, ensemble on fait la réalité. » Il traduit ces valeurs dans son travail d’agriculteur. « Je vends tout à la coopérative, je lui achète tout. » Il appartient à une Cuma, par laquelle les agriculteurs partagent leur matériel.
Avec sa compagne Sophie il a aménagé un bâtiment en perdition, avec de grandes portes-fenêtres qui donnent sur la campagne vallonnée. « Paysan, je façonne mon paysage. » Sa mère habite la ferme, à l’autre bout d’une grande pelouse fleurie.
A part les cultures, il a cent vaches mères pour produire la viande bovine. Le troupeau est en reconversion, de charolaises en salers, « plus rustiques, vêlant seules. » Elles le laisseront plus disponible pour ses activités hors exploitation.
L’objectif des JA et la priorité présidentielle sont de promouvoir l’installation des jeunes. Pour cela, il y a tout un processus de formation et d’aide, l’effort portant à présent sur sa personnalisation pour chaque aspirant – dont 30 pour cent ne vient pas du milieu agricole.
Philippe a un discours construit pour répondre aux questions concernant ses préoccupations. Non pas qu’il débite des phrases sans tenir compte de son interlocuteur : plutôt, il a l’habitude de côtoyer des personnes de pouvoir et d’influence – jusqu’au Premier ministre au Salon de l’agriculture – qui n’ont pas le temps de le laisser chercher ses mots devant eux.
Un syndicaliste avant tout ? Non. « Je garde toujours à l’esprit que mon premier métier est d’être paysan. »
L’Union

27/03/2007

Slam au Havana Café : la démocratisation de la poésie

« Soirée historique ! » L’animateur connu Hot le Pilote a lancé avec ces mots le premier « Slam poésie » à être tenu à Soissons. Le ton fougueux, presque sportif, est censé éviter que la poésie reste confinée poliment dans ces minces recueils si difficiles à localiser dans les librairies, pour la faire déclamer en public. Tous ceux dans la salle qui le veulent sont invités à dire ou à lire des poèmes, les leurs ou d’autres. Les mots deviennent paroles.
Laurence Piret et Marc Douillet, membres de la Ligue des Droits de l’Homme à Soissons, ont organisé l’événement, pour marquer la semaine internationale contre le racisme. Le slam et les droits de l’homme ? Oui, parce il donne la parole sans distinction d’âge, de couleur, de religion, ou autres, à ceux qui la veulent, pour dire ce qu’ils veulent, mais en vers. La liberté d’expression, le refus de la discrimination, du jugement littéraire hautain, caractérisent le slam. Le poète américain Bob Holman définit le phénomène comme « la démocratisation de la poésie ».
Le Havana café était bondé, jusqu’à déborder parfois sur le trottoir. Les inscrits parmi les auditeurs attendaient, patiemment ou timidement, une feuille pliée à la main, de voir sortir leur nom du bonnet de laine. Le slam peut être un tournoi, avec des éliminatoires, mais ce premier essai a été non-concurrentiel. Trois slammeurs, jeunes mais expérimentés, venus de Paris enrichir l’événement, ont présenté des poèmes dans lesquels le vent de dérision et d’indignation qui souffle dans les banlieues des grandes villes devient beauté poétique, force de vie malgré tout.
Les poètes locaux étaient plus retenus, mais tous ont été applaudis dans une ambiance de concert pop, laquelle, bien sûr, ne conviendrait guère aux poèmes que le choc entre introspection et vocabulaire rend plus difficiles d’accès.
Marie-José Geoffroy, présidente de la LDH, envisage de répéter l’expérience, nourrissant ainsi la créativité et l’appréciation poétiques locales.
Quelques personnalités politiques, Patrick Day, Claire Le Fléchet et Gilbert Collet, étaient là pour applaudir, mais sans prendre la parole qui, à cette occasion, était réservée aux poètes.
L’Union









 Hot le pilote anime la soirée slam devant
 une salle comble au Havana café.


23/03/2007

Le printemps des poètes : Galilée poursuit sa vision


Depuis 2006 et jusqu’en 2009, l’Ecole Galilée s’engage dans un projet d’école : « Maîtriser la langue ». Il s’agit de la langue écrite, lue et parlée. C’est un programme qui pouvait se limiter à une rigueur implacable d’orthographe, de grammaire et de syntaxe. Mais ce serait compter sans la démarche générale de cette école, déjà connue pour son respect des biorythmes des élèves, en insistant, dans l’horaire quotidien, sur les périodes de plus grande réceptivité des classes. Nathalie Kinet, la directrice, aime le nom de l’école. « Galilée a changé la vision du monde, et j’aime penser que nous aussi, nous la changeons ici. »
Les enfants avec leur institutrice Wanda Tordeux.
. Pour la maîtrise de la langue, alors, les enseignants donnent une grande place à la poésie. Une dissertation requiert une approche logique, de la suite dans les idées, un sérieux dans la pensée. Un poème libère le poète de ces exigences, en privilégiant l’imagination, en lui permettant de sautiller entre les idées et les images. « La poésie transgresse les codes » explique Nathalie Kinet. Mais autant que la prose elle permet un apprentissage de la langue, souvent « entre les vers ».
« Le printemps des poètes », programme national lancé par le Ministère de la culture, a bien trouvé sa place dans ce contexte.
 Parmi les activités, l’éditrice et typographe Christine Brisset Le Mauve a animé des ateliers avec les élèves. Dans une salle de classe, un groupe d’enfants des moyenne et grande sections maternelles a crée ensemble un poème écrit au tableau : « J’aime les poèmes en M, les souris en I, les corbeaux en O, les pigeons en ON, la rivière en R. » La typographe se fait aider pour trouver les caractères d’imprimerie dans une caisse. Un jeu ? En fait, les enfants cherchent, non pas dans un alphabet mais en reconnaissant la forme des lettres. C’est une initiation à la lecture. Ensuite, ils font la queue pour imprimer le texte sur une presse. Leur poème devient un objet à emporter, une preuve de créativité – et de maîtrise.
Dans l’entrée de l’école, « l’arbre du printemps »  est en cours d’installation. Elle s’y ajoute aux trois des autres saisons, pour servir de support aux poèmes accrochés par les élèves, les enseignants, les parents, les intervenants extérieurs. Une forêt de paroles.
L'Union

22/03/2007

Le prix Terra pour Denis Lefèvre : de l’éléphant au ver à soie

Dans « Ulysse » James Joyce prend presque mille pages pour raconter une seule journée dans la vie d’un Dublinois. En moins de trois cents, Denis Lefèvre réussit à retracer dix millénaires de l’histoire des animaux domestiqués par l’homme.
« Le loup, l’homme et Dolly », qui vient de gagner le nouveau prix Terra, créé pour encourager des contributions au grand débat sur le monde agricole, évoquer l’élevage, de ses débuts à nos jours. L’agriculture, une activité nécessaire mais sans pertinence dans un monde technologique ? Denis Lefèvre continue, de livre en livre, à démontrer le contraire, qu’elle « se situe sur les frontières d’un monde en mouvance » : le clonage, la marchandisation, les maladies qui sautent la barrière entre les espèces, sont des préoccupations majeures aujourd’hui.
L’élevage date de l’âge néolithique, lorsque les peuples du « Croissant fertile » passent de la chasse et de la cueillette à la production de récoltes et de bétail. L’apprivoisement des animaux commence, pour arriver à vingt-cinq espèces : équidés, bovins, ovins, caprins et volaille, mais aussi l’éléphant et le ver à soie.
L’impact du livre vient de sa capacité à analyser et illustrer des sujets familiers à tous mais flous. La concurrence entre l’éleveur et l’agriculteur ? La Bible met le doux pasteur Abel en face du rustre cultivateur Caïn. La montée du christianisme au Moyen age ? L’évêque de Laon excommunie les chenilles qui ravagent les récoltes. La transhumance alpine et provençale ne serait pas qu’un folklorique événement saisonnier mais, pour Fernand Braudel, le pendant occidental du grand nomadisme oriental. Les chevaux de trait ne se développent qu’au 20e siècle.
Mais l’auteur va plus loin que l’anecdotique : il examine tous les aspects historiques et contemporains de l’élevage, des positifs comme la vaccination aux plus scandaleux, comme la dépendance européenne des aliments importés, ou la maladie de la vache folle.
Qu’est‑ce qui a motivé le jury en lui attribuant ce prix ? Interrogé au Salon de l’agriculture, Luc Guyau, président des Chambres d’agriculture, apprécie « la façon dont l’homme est placé au centre de l’histoire des animaux ». Pour Jean‑Christophe Rufin, prix Goncourt 2001, « il montre la continuité dans l’histoire des animaux et des hommes, et fait la soudure entre le passé et le futur ». Anne Hudson, journaliste à France Info, est catégorique : « C’est agréable. C’est bien écrit. C’est facile à lire. »
Denis Lefèvre vient du milieu agricole mais, vivant à côté de la ferme familiale à Oulchy-le-Château exploitée par son frère et sa sœur, il a choisi, au lieu de creuser la terre, de creuser le sujet par l’écriture. Il travaille maintenant sur les végétaux, leur passé, leur présent et leur avenir pour les hommes.
L'Union










Luc Guyau, président des chambres d'agriculture, et Anne Hudson, journaliste à France-Info, entourent le lauréat Denis Lefèvre.

18/03/2007

« Le Caïman » au Mail : autorité et courroux


Claude Richh dans les loges après le spectacle.

L’âge peut apporter l’apaisement. Il peut aussi apporter le tourment. Dans la pièce d’Antoine Rault « Le caïman », un homme est envahi par le sentiment d’avoir été un imposteur, sa foi marxiste minée par des doutes chrétiens. Sa femme, communiste restée convaincue, loin de le rassurer, le défie, hurle, implore, au point qu’il l’étrangle. L’auteur admet avoir suivi l’histoire de Louis Althusser, professeur à l’Ecole Normale Supérieure, qui, dans un acte de folie, a tué sa femme Hélène en 1980.
Claude Rich joue l’homme. La salle du Mail paraît s’être remplie surtout pour le voir, sa légendaire candeur, la grâce de son jeu. Il est le caïman. C’est le surnom donné aux professeurs à l’ENS préparant les étudiants à l’agrégation. C’est aussi un sanguinaire saurien. Claude Rich démontre, sans emphase, l’autorité de l’un et la dangerosité de l’autre, le désespoir et la violence. Christiane Cohendy est la femme qui l’exaspère jusqu’à en mourir.
Après le spectacle, un admirateur rappelle à Claude Rich l’avoir vu, au début de sa carrière, jouer le garçon précoce dans « Victor » de Roger Vitrac. Il s’en souvient, voit même un écho de la vieille pièce surréaliste dans le drame du soir, « shakespearien, celui-ci ». Fatigué après sa performance, et avant de repartir en voiture chez lui dans les Yvelines, Claude Rich donne l’impression que l’ensemble des rôles qu’il a joués, au théâtre et au cinéma forme une seule construction, chaque pierre posée délicatement sur les précédentes pour faire une maison dans laquelle il vit, acteur et homme. Nous avons pu lui rendre visite pour une soirée.
L'Union

14/03/2007

Murielle Poirrier : l’amitié, l’entraide – et un souffle d’air



Dans son arrière boutique de centre ville, Murielle Poirrier reçoit avec amabilité et un grand sourire. Parce qu’elle est commerçante ? Les choses sont plus complexes que cela.
Elle est née près de Lillers dans le Pas de Calais. Après un bac de comptabilité et secrétariat, elle est recrutée par son future mari Franck, agent d’assurances. Ils s’installent à Soissons, où elle trouve la société plus stratifiée que dans le Nord, moins chaleureux. « Je suis parmi les petits ici. »
Ils partent dans la Marne, et dans la foulée, Murielle suit la formation nécessaire pour porter le titre d’« agent général », comme son mari. Mais le monde des assurances les use. « On vient chez un assureur, pas pour le plaisir, mais pour négocier », sous le coup d’un accident, d’un incendie, d’autres malheurs. Franck et Murielle se mettent tant à la disposition des clients qu’un médecin les prévient : « Vous allez péter une soupape. » Tous deux ont des ennuis de santé en 1998. Depuis, Murielle souffre d’une maladie inflammatoire chronique, reste en permanence sous traitement, et guette des signes de dégénérescence. Une grande malade, alors ? « Je n’ai jamais accepté ma maladie » En en parlant, Murielle est à la fois triste et révoltée. « Je me bats. »
Ils abandonnent les assurances, se documentent et étudient pendant un an, et en 1999 Franck trouve un fond de commerce dans la rue Saint Martin. Il ouvre une boutique de thés et cafés et d’accessoires pour les préparer. « Les gens viennent maintenant chez nous pour se faire plaisir » remarque Murielle.
Occupée par leurs trois enfants et le travail, elle trouve tout de même le temps en 2002 de rejoindre le Ladies Circle 23, association dont la devise est « Amitié et entraide » : amies entre elles, entraide autour d’elles. C’est en 1936 en Angleterre que les épouses des hommes de la Table Ronde, fatiguées de leur sobriquet de « Tablettes », fondent le Ladies Circle. Le club de Soissons est le 23e en France, d’où son nom. Ses actions caritatives vont d’une récente campagne pour le Village d’enfants à Soissons à des opérations ciblées, telle l’achat d’un fauteuil roulant pour un enfant handicapé, d’un ordinateur pour une petite fille chargée de prothèses à qui seule l’informatique offrait une ouverture.
D’où viennent les fonds ? « Nous récupérons tout ce que nous pouvons, meubles, objets, et nous tenons un stand, par exemple, à la grande brocante de Vailly. » Le club périclite actuellement, faute d’adhérents. « Nous sommes quatre, dont trois actives. » Les Ladies cherchent des recrues qui auraient un peu de temps pour une amitié associative utile.
L’engagement de Murielle Poirrier fait partie de sa vie, lui permet d’aider les autres, et lui apporte un souffle d’air qui l’empêche de s’étouffer dans ses soucis quotidiens.
L’Union

04/03/2007

Une maison à la bibliothèque


Chaque détail est authentique. Le canapé est en cuir, les assiettes en poterie, le toit en ardoises, le parquet en lames de bois, la porte d’entrée en chêne. Même le journal qui traîne sur un tabouret porte un titre : « l’Union ».
La maquette de maison occupe tout l’espace disponible pour les expositions dans la bibliothèque. L’effet est celui d’une énorme maison de poupée – il faut deux hommes pour soulever le toit – mais l’intention est différente.
Une équipe de cinq infirmiers, trois hommes et deux femmes, soignants au Centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CCATP) de Belleu, a conçu ce projet, à mettre en œuvre par les usagers du Centre, handicapés mentaux, ou souffrant de troubles psychiatriques ou difficultés passagères, telle une dépression nerveuse. Ils y sont envoyées par un médecin, et ne sont soumis à aucune contrainte, notamment d’assiduité. De tous âges, ils participent à des ateliers de travail. Mais, insiste Daniel Dendrimont, un des infirmiers de l’équipe du projet, « il s’agit de soins, non pas de cours ». Il importe, non pas d’apprendre un métier, mais d’apprendre à mieux vivre.
Pour rompre l’isolement des différents groupes, et nourrir ainsi la communication et le partage, les ateliers de poterie, menuiserie, couture, peinture décorative, cuir et informatique ont collaboré à la construction et à l’aménagement de cette maison. Le cadre a été fourni par les soignants, mais les éléments qui composent la maison résultent des compétences, des idées, des goûts, des souhaits de chacun. Ceci explique le foisonnement d’objets délicieux, meubles, rideaux, bacs à fleurs, poste de télévision, éclairage… Ce n’est pas un jouet, mais les visiteurs de la bibliothèque, petits et grands, peuvent se réjouir de ce monde réduit dix fois, parallèle au grand dans lequel nous vivons.
Les infirmiers ont vu dans cette « villa Beaulieu » de grandes possibilités pour les usagers du Centre. Ils entendaient les amener à appréhender un sujet et s’y projeter à long terme (six mois de travail !), à se repérer dans un espace à trois dimensions et à résoudre les difficultés concrètes en se représentant un lieu de vie. C’était aussi une occasion de dialoguer, comparer des habitudes, découvrir les similitudes et les différences entre eux. Enfin, ils ont pu prendre du plaisir, être fiers du résultat final. Tout cela compte quand le monde paraît hors de portée, fermé, cruel ou incompréhensible.
Construire cette maison à l’échelle demandait de la dextérité manuelle. Un des usagers, racontent les infirmiers, très peu habile de ses mains, a réussi à découper les six cents petites ardoises du toit. Soyons rassurés : de grandes ouvertures ont été prévues, pour nous permettre d’épier les pièces et ce qu’elles contiennent. La maison est merveilleuse à regarder, mais la vraie merveille est le sens que lui donnent ceux qui l’ont faite.
L’Union
Anne-Marie Natanson, conservateur en chef de la bibliothèque, qui héberge la "Villa Beaulieu", avec trois infirmiers du CCATP, Daniel Dendrimont, Jean-Paul Ducornet et Gérard Monchoux.