31/05/2014

Des musiciens néerlandais jouent du baroque français

Dans la cour du gîte de la Ferme de la Montagne à Ressons-le-long, une vingtaine de personnes sont assises autour d’une grande table, au demi-soleil d’après-midi. L’ambiance est détendue ; mais ce n’est qu’une pause entre deux séances de répétition d’orchestre.
    C’est la troisième fois que le « Kennemer consort », ensemble de cordes néerlandais, s’installe ici pour préparer son concert de printemps. Cette année, le programme est particulièrement exigeant. Ils joueront la symphonie n° 7 de Mendelssohn, et la Sérénade de l’américain Arthur Foote. Mais le vrai défi sera le concerto pour orgue et cordes de Michel Corrette, « petit trésor de baroque français » selon l’orchestre. Il mettra bien en valeur l’orgue récemment restauré d’Ambleny. Sous la direction de Benoït Debrock, Isabelle Fontaine, titulaire des grands orgues de Soissons, sera la soliste. « Nous ne répéterons avec l’orgue que samedi et dimanche matin » dit avec quelque appréhension un membre de l’orchestre. Pourtant, quoique tous amateurs sous leur chef professionnel, ils sont connus comme étant « d’un très bon niveau ».
    Les musiciens apprécient leur séjour annuel en Picardie, et notamment la grande salle de répétition du gîte qu’ils rejoignent aussitôt. La musique n’attend pas.
L'Union

Les jeunes critiques de Soissons

« Notre envoyée spéciale Lucie L. est allée voir le spectacle « Fables » au Mail…. » Non, il ne s’agit pas d’une nouvelle recrue de l’Union, mais d’un exercice de la classe de Cinquième « Théâtre » (CHAT) au collège Saint-Just. A la demande du coordonnateur Philippe Chatton, un intervenant, qui avait rendu compte du spectacle en son temps (voir l’Union du 10 mai) et donné des indications avant la représentation, vient de revoir les élèves pour entendre le résultat. Il avait insisté sur l’importance de soigner la première phrase (« sinon le lecteur passera tout de suite aux pages sportives »), et la dernière (« il faut une chute, et une chute fait du bruit »), en n’oubliant pas le milieu (« clair et concis »).
    Cette adaptation des « Fables » de La Fontaine fait honneur aux textes mais les encadre d’une mise en scène farfelue et débordant d’énergie, avec deux acteurs. Chaque élève a réagi à sa façon, et la principale leçon a été bien intégrée : écrire, non pas pour montrer combien on a appris, comme dans un devoir, mais pour partager une expérience et aider le lecteur à se faire un avis.
    Lucie l’envoyée évoque la mise en scène en quelques mots : « A partir d’un carton, d’un bout de plastique, et d’autres objets insignifiants qui appartiennent à la poubelle, ils font apparaître un monde de mouvement, de morale, drôle et cruel à la fois. »
    Pour Thomas, c’était « trop imagé », détournant l’attention du texte.
    Aloïs laisse de l’ambiguïté : « Les comédiens… sont capables de faire rire n’importe quand ce qui est plus ou moins plaisant », alors que Valentine termine rondement : « Ce spectacle est très surprenant, avec suspense et créativité. »
    Les CHAT entendent explorer davantage cette frontière entre les mondes du spectacle et de l’écriture journalistique.
L'Union

29/05/2014

« Press » au Mail : une marionnette récalcitrante

Un homme élégant, tout de noir vêtu, enfermé dans un cube sur la scène du Mail : Soissons voyait enfin Pierre Rigal dans « Press », son ballet de 2008. Les danseurs hip-hop d’« Asphalte » nous avaient révélé sa quête du sens du corps humain en 2012.
    L’homme tourne sur lui-même, puis soudain est secoué par des mouvements qu’il ne maîtrise pas : torse, membres, mains et pieds sont tirés, poussés par de bruyantes forces invisibles. Le toit du cube se met à descendre par paliers : sa tête s’y frotte bientôt, avec un grincement métallique. A chaque étape, il s’adapte, essaie de reprendre pied, de garder son allure de dandy. Marionnette récalcitrante, il tient tête au séisme corporel, avant d’être à nouveau assailli. Une lampe d’architecte radioguidée accroît le sentiment de puissances extérieures. Enfin le cube s’aplatit. L’homme meurt-il écrasé, ou s’agit-il d’hallucinations schizophrènes terrorisantes ?
    La performance physique de Pierre Rigal est extraordinaire. Il a été athlète avant d’être chorégraphe, et « Press » se situe à la frontière entre athlétisme et danse. Les mouvements exigent autant une grande résistance physique qu’un profond sens de la poésie du corps.
    Les spectateurs, lycéens sensibilisés à la danse dans leurs établissements, pouvaient apprécier le langage corporel. Olivier Catalan, du lycée Jean-Rostand à Chantilly, n’analysait pas encore le spectacle à la sortie : « C’était bien » disait-il, encore sous le coup du cauchemar claustrophobe.
L'Union

28/05/2014

Quatuor David Enhco : le lyrisme sans épate

Son frère, le pianiste de jazz Thomas Enhco, était au Mail en 2012. Même sa mère, Caroline Casadesus, y avait chanté en 2008. Mais nous étions peu dans la petite salle du Mail à savoir que David Enhco, trompettiste, venu donner un concert avec son quatuor, avait déjà été là en 2013, avec l’Amazing Keystone Big Band. « C’est alors que j’ai rencontré la Direction, et je suis là aujourd’hui, avec ces musiciens. »
    Le début du concert a donné le ton pour la musique de ces quatre jeunes jazzmen. Le piano lance une sorte de mouvement perpétuel, que vient rejoindre la trompette presqu’en accompagnement, sans aucun effet excessif. Avec Florent Nisse à la contrebasse, Maxime Sanchez au piano et Gautier Garrigue à la batterie, le groupe maintient cette économie de moyens, laissant leur musique faire son chemin en douceur.
    David Enhco parle des étroites relations entre eux, leurs improvisations collectives, les tours qu’ils se jouent : « J’ai voulu écrire quelque chose d’injouable pour eux, mais qui me laisse frimer : eh bien ils n’ont eu aucun mal à l’apprendre ! »
    Leur jazz atteint parfois le lyrisme : « Oiseaux », composé par Florent Nisse, a un tel air de « standard » qu’on attendrait presque l’intervention d’une chanteuse.
    Le jeu de Maxime Sanchez, « une nouvelle recrue, et un des meilleurs musiciens que je connais » selon David Enhco, est presque confidentiel, tout en dégradés. Les mains restent au milieu du clavier, sans faire le grand écart pour épater le public, un style qui correspond bien à la ligne du quatuor.
L'Union

23/05/2014

Trois artistes pop à l’Arsenal

« Ils voyagent tellement, avec des expositions partout, qu’il est difficile de les réunir. » Dominique Roussel, directeur du musée de Soissons, explique pourquoi la rencontre entre les trois artistes Erro, Deleval et Speedy Graphito, la presse et les guides n’a lieu qu’une heure avant le vernissage. Et encore : dispersé sur les deux niveaux de l’Arsenal, il faut encore rassembler le trio remuant, entouré de photographes et galeristes : Erro, monument islandais du « pop art » à 82 ans, Jean-Jacques Deleval, venu de Bruxelles si ce n’est pas de Formentera, et Speedy Graphito, le plus jeune, avec sa coiffure genre Tintin.
Erro entre Jean-Jacques Deleval et Speedy Graphito,
 assis devant trois de ses tableaux.
    Tout l’espace avait été proposé à Erro, mais il a préféré le partager avec deux artistes amis. Ainsi, la « figuration narrative » s’empare de l’Arsenal de haut en bas. Chacun a sa manière s’approprie les images de bande dessinée et de publicité pour en faire un œuvre complexe. Les couleurs vives, le trait fort, les corps d’une volupté peu subtile, les visages qui expriment une émotion primaire : ils deviennent composants de tableaux complexes.
    A partir de collages, Erro peint des toiles urgentes et ironiques au contenu foisonnant, pleines d’échos de Picasso et Botero entre autres, à côté de personnages de bande dessinée.
    Deleval utilise des techniques d’impression pour mêler des citations classiques, telle la chapelle Sixtine, à Mickey et Betty Boop, deux cultures qui entrent en collision.
    Speedy Graphito a construit sa cabane de graphiste sur place. Pur « street artist », artiste de rue ? « J’ai fait une formation classique, mais les galeries ne s’intéressaient guère à un artiste abstrait de plus. J’ai donc commencé à peindre dans la rue, sur les murs. » Des commandes ? Son œil est malicieux :      « Pas du tout, je peignais là où je pouvais. »
L'Union

22/05/2014

Quand le train-train quotidien déraille

La voisine (Anne-Cécile Tune)
 occupe le coin cuisine.
Les projecteurs éclairent un intérieur lamentablement banal : table et chaises, placards, coin cuisine. Un homme affalé dans un fauteuil se lève, allume la radio, vérifie sa coiffure dans la glace, se remplit un verre, le touille, le boit. Ses gestes sont amplifiés, formalisés, d’une grâce saccadée. Le train-train quotidien est sur les rails.
    La compagnie Arcosm a joué « Traverse » deux fois au Mail, pour les scolaires puis les adultes : après tout, pour le chorégraphe Thomas Guerry et le musicien Camille Rocailleux, créateurs de ce mélange de mime, danse, bruitages et musique, « un bon spectacle pour enfants doit être un bon spectacle pour tous ».
Un dîner extravagant.
    On tambourine à la porte, une voisine fait irruption, dérange tout, repart. Deux hommes apparaissent, disparaissent, et enfin tous les trois, voisins réels ou imaginés, font dérailler la vie étriquée du locataire, envoyant valser toutes ses routines. Ses premiers gestes persistent, mais repris, élargis, transformés de tics suintant l’ennui en grands mouvements chorégraphiés. Les quatre se concertent, se bousculent, entrent et sortent par les portes, les placards, les armoires. Un portrait décroché du mur est retourné pour faire apparaître une nappe, des assiettes, des couverts, des verres. Un repas extravagant s’engage.
    A la fin, décor et accessoires rangés, les lumières baissent sur les quatre convives qui remplissent chacun un verre, le touillent, le boivent. Pour le public, le geste est devenu un vieil ami. La monotonie de l’existence est abolie, le temps d’un rêve ou d’une révolution.
L'Union

21/05/2014

Consensus musical pour l'orchestre "Les Siècles"

Raphaël Pidoux à la viole de gambe pour jouer Haydn au Mail.
L’orchestre Les Siècles, sous son énergique et sympathique chef François-Xavier Roth, vient à Soissons deux fois dans l’année. Il vient de donner un concert au Mail ; la seconde fois ce sera en juillet avec « La symphonie des Siècles », où l’orchestre est rejoint par une foule de jeunes qui ont suivi un stage, impressionnés de se trouver avec des professionnels devant le public.
    L’orchestre avait sa configuration classique pour le concert au Mail. La brève ouverture d’« Idomenée » de Mozart a lancé le programme avec concision, suivie du concerto pour violoncelle en ut de Haydn. Le soliste Raphaël Pidoux a rappelé que l’œuvre était longtemps perdue : « J’ai connu le petit-fils de l’homme qui a sauvé la partition à Dresde, juste avant les bombardements. »
    La 5e symphonie de Beethoven est tellement connue, a été tant enregistrée, qu’il pouvait sembler ne rien offrir de nouveau. Mais voir jouer par des musiciens ajoute une autre dimension. L’auditeur suit les échanges entre les pupitres, les oreilles deviennent actives, entendent le fameux motif à quatre notes évoluer constamment, puis revenir sous une autre forme au dernier mouvement.
    Un concert a aussi sa fonction sociale. Pour ce premier événement de son genre depuis les élections, deux maires se sont trouvés dans la salle, l’ancien et le nouveau, comme les deux adjoints à la culture, et d’autres. Tous se sont rejoints dans ce consensus musical.
L'Union

20/05/2014

Une promenade musical baroque

La peinture et la musique se sont faites complices au musée Saint-Léger, pour marquer la Nuit européenne des musées. Quatre membres de l’ensemble baroque La Ritournelle, qui devait plus tard donner un concert dans l’abbaye, ont proposé une captivante « promenade musicale » préliminaire dans la salle des peintures.
    Les violonistes Ingeborg Kleijnjan et Sabelline Rohr, Antoine Chauvin à la viole de gambe et le contre-ténor Jean-François Lefèvre ont joué des œuvres de Caldara, Corelli, Purcell, Lully et Handel, devant un public debout ou assis par terre. Chaque fois qu’il participait, la voix du chanteur, haut placée comme une voix de femme, mais clairement une voix d’homme par le timbre, prenait sa place au-dessus du son des instruments,
   Les musiciens jouaient devant deux tableaux, d’Achille regardant le cadavre de Patrocle devant les murs de Troie, par Pellegrini, et du Christ montrant ses blessures par Cecco Bravo. L’art et la musique résonnaient ainsi l’un avec l’autre pour créer une expérience complète.
L'Union

L’entrée des artistes

Les élèves de l'atelier de Vincent Dussart.

Les élèves avec Rama Grimberg.
Pour la 13e fois, les élèves des clubs, ateliers et classes de théâtre de l’Aisne se retrouvent à Soissons pour les Journées départementales scolaires des arts du théâtre. Pendant trois jours ils participent à cinq ateliers différents sur le thème « Paroles d’aujourd’hui – La mise en je(u) ». L’événement se termine par une présentation publique des travaux dans la grande salle du Mail.
Fred Egglinton avec ses stagiaires.
    Un regard dans plusieurs ateliers montre la diversité des approches. Dominique Richard, auteur de pièces sur l’enfance, met en chœur un extrait d’une de ses pièces ; deux élèves jouent en miroir. Rama Grimberg de la compagnie Abadie fait répéter chacun tour à tour, en augmentant constamment l’intensité du jeu. Avec Fred Egglinton des Ben’arts les élèves travaillent leur placement sur scène. Vincent Dussart de l’Arcade crée une ambiance rieuse de travail. Didier Perrier de L’Echappée fait émerger une cohérence de ses stagiaires. Partout, les jeunes comédiens se plient aux exigences du monde du théâtre.
Dominique Richard en répétition.
    Morgan Sanson est élève au lycée Gay-Lussac à Chauny, où il fait partie d’un atelier de théâtre trilingue, français, anglais et espagnol. Entend-il devenir comédien ? « Non, je veux faire des études médicales, mais j’aime y retrouver mes amis. Cela aide les plus timides. Moi je ne suis pas timide, plutôt très sociable. » Plus qu’un remède au manque d’assurance, le théâtre scolaire est un moyen d’expression.
    Deux jours plus tard, les groupes répètent successivement sur scène, avant de jouer devant le public le soir. Ils sont transformés. Les élèves Dussart lisent encore, mais le grand plateau, l’éclairage qu’on ajuste, le metteur en scène qui les… met en scène : tout contribue à générer la tension nécessaire au spectacle.
L'Union

17/05/2014

Une Ecossaise expose à Arthé

A la place des appliques qui éclairent souvent un restaurant, Arthé demande à des artistes d’illuminer sa salle en exposant leurs tableaux sur les murs. Margaret Brohan y revient avec de une trentaine de toiles.
La nouvelle exposition s’appelle « Entre le rêve et la réalité ». Elle s’aventure dans cet espace cher à tant d’artistes, où des éléments naturalistes fondent dans d’autres relevant de l’imaginaire. « Souvent, je reviens sur un tableau, et ne suis contente que lorsque j’y ajoute un ou plusieurs personnages » explique-t-elle. Certains tableaux sont ainsi peuplés ; dans d’autres, le corps se cache dans les formes et couleurs, comme un fantôme bienveillant.
  « Je reprends, retouche, jusqu’à pouvoir dire « C’est ça ! » Comment savoir que c’est fini ? Elle ne peut pas dire : elle n’analyse pas, elle constate.
  Elle admet avoir du mal à finir une toile :
    Margaret Brohan vit depuis de longues années à Soissons, « J’ai mes amis ici, mes enfants ne sont pas loin. » Mais elle est née à Glasgow en Ecosse – et a montré un enchevêtrement d’églises de la ville à Arthé en 2012. Posons la question de l’actuelle campagne pour la séparation de son pays du Royaume uni. Elle ne veut pas trancher : « L’Ecosse indépendante est une bien belle idée ! Mais dans la pratique… » Sa vie et sa peinture sont à Soissons : c’est ce qui compte pour Margaret Brohan.
L'Union

16/05/2014

Un récital pour aider les enfants autistes

Au milieu de la fièvre théâtrale de « VO en Soissonnais », un concert dans la salle Saint Charles samedi dernier proposait un passage musical sans effets de mise en scène, ni projecteur. La violoniste Alexandra Greffin Klein et la pianiste Aline Piboule y ont donné un récital au bénéfice de l’association « Autisme espoir vers l’école » (AEVE).
    Dans première partie, elles ont bien fait sourdre le lyrisme russe dans la sévère structure de la 1ère sonate de Prokofiev. La sonate à Kreutzner de Beethoven, si souvent entendue, prend tout de même une nouvelle plénitude, quand les instrumentistes sont là, entourées des dorures de l’ancienne chapelle.
    Le concert était en fait un cadeau d’anniversaire offert à un auditeur qui ne s’est pas identifié, et qui a saisi l’occasion d’aider l’AEVE.
    A l’entracte Bruno de la Presle, venue de Paris, s’est adressé à l’auditoire pour présenter l’association. Les bénévoles formés de l’AEVE aident les enfants autistes en nourrissant leurs centres d’intérêt par le jeu, selon « la méthode 3i » : individuelle, intensive et interactive.
    Il insiste sur le respect de l’enfant. « Notre démarche n’est pas comportementale, mais développementale. Mon petit-fils a été dans cette situation, c’était très difficile. » Enfant qui ne communiquait pas, « il est maintenant en Cinquième, premier de la classe. »
L’AEVE a un site Internet : www.autisme-espoir.org
L'Union



13/05/2014

Le Festival prend fin avec un gâteau d’anniversaire

Rois vagabonds.
C’est devenu une tradition : « VO en Soissonnais » prend fin dans l’hilarité. Cette année, deux clowns des« Rois vagabonds » ont accompli une série de tours brillamment incompétents, leurs voix réduites à des cris étouffés derrière l’éloquence des corps. Ils jouaient en même temps un violon et un tuba – ce qui fait qu’un festival qui a débuté avec du Vivaldi dans « 1, 2, 3 4 saisons » a pris fin avec le même œuvre. Il y avait une foule de jeunes au Mail pour ce spectacle de clôture, et des adultes qui riaient comme des enfants.
Opus 13.
    Ce dernier jour nous avions déjà vu « Rouge chaperon », où le conte pour enfant est devenu un enjeu sanguinolent entre deux femmes.
    En avant-dernier, les deux danseurs d’« Opus 13 » ont tourné aussi inlassablement que les poissons rouges dans des bols suspendus sur le plateau, et de plus en plus énergiquement. Ainsi ils apprenaient à être ensemble en partageant le pouvoir. Seulement à la fin la femme s’est effondré tendrement dans les bras de l’homme.
    Jean-Pierre Pouget et la trentaine de bénévoles pourront se féliciter de la réussite du festival, avec autour de 2000 entrées pour 11 spectacles dans neuf lieux différents. A côté de pièces pour les tout petits, des spectacles populaires ont attiré un public peu habitué au théâtre vivant. Des pièces plus exigeantes ont nourri les sens et parfois mis au défi les nerfs de spectateurs avertis. Pour fêter ses dix ans, déclara le président, « nous l’avons souhaité plus festif et musical. » Une offre éclectique pour un large public : pour un petit festival, c’est à remarquer.
Rouge chaperon.
    Le président a ainsi clôturé « VO en Soissonnais », mais ce n’était pas fini. Pour fêter ses 126 spectacles, 220 représentations et près de 24 000 spectateurs, dont 5 600 scolaires, depuis 2004, tout le monde a été invité à suivre un orchestre de samba jusqu’à la Halte fluviale, pour partager un gâteau d’anniversaire.
L'Union
Les bénévoles "VO" sur scène.










VO jour le jour


Un festival sans inauguration est comme un opéra sans ouverture ; une inauguration sans buffet est comme un village sans café. Martine Besset l’a si bien organisé pour « V.O. » 2013 qu’elle a été rappelée cette année. Convoquer un traiteur ? « Mais non ! » s’exclame-t-elle. Pour des raisons budgétaires, mais aussi pour impliquer les gens dans l’ action, elle fait appel aux bonnes volontés et connaissances culinaires, et coordonne les résultats. Les festivaliers n’en ont pas raté une miette.


Elle change de registre, mais pas de festival. Dans « Sas » en 2007, Angeline Bouille était marionnettiste, dans la douleur d’une prison de femmes. En 2013 elle a joué « Oublie », mystère initiatique africain. Cette année elle charme et chouchoute les tout petits dans « 1, 2, 3, 4 saisons ». « Ce public m’apporte le plus. » Un prochain projet concerne le combat des « femmes Lejaby ». Pour « VO » ? Elle sourit, comme pour dire « Ca ne dépend pas de moi. »



 Le couple Sylvie Carbone et André Chaillou, elle de Soissons, lui d’Eaubonne, fréquentent « VO » depuis le début. Pourquoi ? Sylvie est enthousiaste : « J’aime même les spectacles qui je n’aime pas, car il y a toujours quelque chose à trouver. » Pour André, c’est qu’il y ait tant de différentes choses à choisir. L’année prochaine ils commenceront leur deuxième décennie dans les salles.




Colette Clauet-Lenoir est venue écouter « Anatoli » à l’Arsenal parce qu’elle aime la musique, dont la musique grecque. Mieux connue comme secrétaire pendant 10 ans du « Café philo » de Soissons, elle projette maintenant de faire un livre à partir des volumineuses notes prises pendant les débats. Après le concert ? « Comblée. »


En 2003 Nathalie Ferréol, habituée du festival d’Avignon, s’y est trouvée avec des trous dans son emploi du temps quand les intermittents du spectacle ont fait grève. Elle était assise avec Jean-Pierre Pouget à une terrasse de café quand une idée est née : « Si on faisait quelque chose à Soissons ? » Ils ont contacté les élus dès leur retour, et « Voies off en Soissonnais » a été lancé en 2004. Dix ans après, elle est toujours bénévole du festival.
L'Union


12/05/2014

De la star grecque au labyrinthe langagier

Angélique Ionatos avec Katerina Fotinaki.
Le charme de « VO », c’est de trouver des spectacles dont on n’a jamais ou à peine entendu parler. A « Anatoli », cependant, bien des spectateurs attendaient l’occasion de voir enfin la grande Angélique Ionatos. « Je me souviens d’elle quand son jeune frère l’accompagnait à la guitare » disait une admiratrice. Avec Katerina Fotinaki, elle a chanté le répertoire grec, qui ne paraît être qu’émotion. L’amour du pays informe ce qu’elles chantent, dans des registres mi-familiers mi-exotiques. Elle a lu des poèmes en traduction – et un extrait de « Stabat mater furiosa » de Jean-Pierre Siméon, rattachant son récital ainsi à « VO » 2008.
Renaud Danner devant Etienne Cocquereau.
    « Si ça va, bravo » est un brillant exercice langagier de Jean-Claude Grumberg, interprété brillamment par Renaud Danner et Etienne Coquereau avec intelligence et exactitude. Dix-sept saynètes, démarrant sur la question « Ca va ? » ou l’exclamation « Bravo ! », avancent sur un terrain ou la logique est minée. Chacun tente d’imposer une logique dont l’autre ne voit que l’absence béante. Pour les transis d’amour des mots, la cohérence peut aller se faire voir.
    « VO » propose de rencontrer les artistes après chaque spectacle : c’est parfois riche, parfois laborieux. Après « Anatoli », on pouvait voir les deux chanteuses à côte du bar, soudain seules, livrées à elles-mêmes. La puissance sur scène avait cédé la place à la fragilité ordinaire.
L'Union

11/05/2014

Une soirée avec des monstres

Eric Goulouzelle vêtu des attributs du roi.
« VO » n’a pas peur d’ausculter les abîmes de l’esprit et du cœur humains. Cette fois, c’est « Savez-vous que je peux aimer et tuer en même temps ? » qui va le plus loin. Deux monologues, d’une femme qui coupe des sexes d’homme et les archive dans ses sacs en plastique, et d’un homme qui répète le rôle de « Richard le trois », en explorant sa propre soif d’exercer un pouvoir de vie et de mort.
Des monstres, donc, la monstruosité étant supposée correspondre à une complaisance pour les plus excessives formes de violence.
    Abondance, femme mise aux abois par la vie, raconte ses rencontres et leur suite atroce – « le sang giclait » - sur un ton moins défensif que revendicatif.
Sophie Matel ouvre un des sacs-fleurs.
    Richard tente d’imposer son pouvoir même sur le public. Une tirade féroce est suivie d’un regard en coin, et il demande « C’était bien ? » Nous nous croyions au théâtre ? Eh bien non ! Et pourtant si !
La meute de Richard
Les deux textes sont verbeux et nécessairement très, très longs : les pervers et/ou affabulateurs mettent des tonnes de mots à s’expliquer, se justifier, voire dérailler. Sophie Matel et Eric Goulouzelle génèrent parfaitement le malaise qu’il faut.
    Les effets visuels resteront dans la mémoire : elle qui ouvre sac après sac en forme de fleur pour exhiber ses prises ; lui qui émerge à la fin coiffé d’une haute couronne, et vêtu d’une traîne en plastique tachée de rouge, si longue qu’elle ne peut pas se dérouler sur la scène.
L'Union


10/05/2014

La Fontaine dans les détritus

Olivier Benoît (à droite) et Jean-Baptiste
Fontanarosa sont le bœuf et la grenouille.
« La langue du 18e est quand-même difficile » disait avec quelqu’appréhension la directrice qui escortait ses élèves dans la petite salle du Mail. « Fables » : allions-nous assister à une sage déclamation des textes de La Fontaine, soigneusement mis en scène ? Ou à un spectacle tellement ingénieux que l’œuvre y disparaîtrait corps et âmes ?
    Des bruits d’orage remplissent la soudaine obscurité. Un sac en plastique flotte dans l’air comme un hibou blanc. Deux hommes surgissent dans la lumière et dansent sur une musique urgente de comédie musicale. Le spectacle est lancé. Bêlements, caquètements, bonnet de laine, crête de papier journal : ils esquisseront quelques traits animaux, pas plus. Après tout, La Fontaine visait les vices, faiblesses et excès des hommes, sous le léger voile du monde animal.
    C’est agité, énergique, ingénieux. Mais le texte de chaque fable est prononcé avec une parfaite clarté. Il prime sur l’action. Les acteurs font honneur au « plus grand poète français », comme le dira Olivier Benoît plus tard.
    La scène est encombrée de vieux cartons, exploités savamment au fil des histoires. Le spectacle se termine par une tempête, avec soufflante et éclats de lumière. Tout est balayé jusqu’aux premiers rangs de spectateurs. Une tempête fabuleuse, comme il se doit. Entre les orages, au milieu de ses détritus, la civilisation s’est exprimée.
L'Union

Le démontage du fatras

Photo Musée de Soissons
L’exposition de Marc Gérenton à l’Arsenal, « Entre, les uns et les autres », a pris fin. Le montage d’une exposition peut prendre du temps. Choisir les emplacements, accrocher les tableaux, placer les sculptures, tout cela régi par la nécessité de trouver une logique, une harmonie, des contrastes. Le démontage est généralement un rapide rangement pour vider les lieux.
    Mais ce sculpteur avait assemblé bien des éléments sur place, et il a fallu, not pas les enlever mais les désassembler. Il y avait surtout ce qu’il appelait son « fatras », pyramide inversée d’objets de récupération. Cela a demandé de longues heures, parce que ses composants, qui avaient déjà servi ailleurs, serviront encore. Assistants, escabeaux, outillage : il en fallait pour la mettre à terre.
    Cet artiste, préoccupé par « la disparition du corps », cherche à réduire le figuratif en représentant encore l’être humain. Les derniers signes, deux pieds rouges sur lesquels le « fatras » était posé, ont maintenant disparu.
L'Union

Un amour impossible

Dodo (Ralph Talyor) redresse Bambolina
(Celia Mendizabal) dans le parc de Septmonts.
Jouant devant leur remorque-loge dans l’ombre du donjon biscornu de Septmonts, les accessoires éparpillés sur l’herbe, les deux clowns-acrobates de la compagnie anglaise « Cercle de deux » auraient pu être des saltimbanques moyenâgeux, s’arrêtant en chemin pour amuser la populace.
    Le sujet du spectacle « Dodo et Bambolina » émerge aussi d’un long passé. Comme le mythe grec de Pygmalion, les « Contes d’Hoffman » ou le ballet « Coppélia », il met en scène un homme attiré par une créature qui est inaccessible parce qu’elle n’est pas vivante. Dodo, le clown Ralph Taylor, aussi impérieux que chétif, gère comme il peut sa turbulente poupée, jouée avec d’hallucinants gestes mécaniques par Celia Mendizabal. Ce drôle de couple se supporte, au prix de légers agacements, mais sans affection.
    Dodo se couche et Bambolina s’éveille, aussi gracieuse qu’elle avait été machinale. Elle flotte sur un trapèze, où le rejoint son amoureux pour des évolutions acrobatiques lyriques, accompagnées d’une version larmoyante de « Over the rainbow ». C’est naïf et sentimental, et c’est émouvant. Un spectacle populaire.
    Puis la poupée remonte sur son socle. Le quotidien d’une attraction de kermesse reprend. Du rêve ne restent que les peines de cœur.
    Tout cela sous une pluie fine mais persistante. Simple inconfort, pour acteurs et public ? « C’était très dangereux » répond Ralph Taylor. « Le trapèze était glissant. » L’illusion avait été parfaite.
L'Union

09/05/2014

Un exploit en ouverture

Nicolas Bonneau cite le récit du match écrit par Normal Mailer.
Au théâtre, il y a des représentations, consistant à rejouer un spectacle, des performances qui frappent par leur force et, plus rarement, des exploits, qui pulverisent les attentes comme un coup de poing. Le terme va bien pour « Ali », choisi pour la soirée inaugurale de « VO ». Il raconte le match de boxe en 1974 entre les poids lourds George Foreman et Mohammed Ali, au Zaïre: « rixe dans la jungle » disait-on. Les cocréateurs, Nicolas Bonneau qui fait le récit avec sa bonne bouille, et Mikael Plunian and Fannytastic, musiciens restés dans les ombres du plateau, mélangent texte, musique et séquences vidéo sur grand écran, pour situer la rencontre dans le contexte de la lutte des droits civiques, la guerre du Vietnam et la vie de chaque boxeur.
    Le spectacle est comme touché par la grâce : les gestes, sons et éclairages, et surtout les longs extraits du film du match, sont justes.
    Parlant après le spectacle, Nicolas Bonneau admet le danger que le sujet n’éloigne d’éventuels spectateurs : « Beaucoup de femmes vont au théâtre, en amenant parfois leur mari - de moins en moins ! »
    Le vrai exploit a donc été d’intéresser à un tel match ceux, sûrement nombreux dans la salle, pour lesquels la boxe n’est qu’un exutoire ritualisé de la virilité agressive. La tension montait à chaque reprise du combat sur l’écran, jusqu’à l’effondrement terrible au 7e de Foreman, qui semblait dominer le malin Ali. Une bagarre était devenue un poème épique.
L'Union

08/05/2014

Commençons par les plus petits

« VO en Soissonnais » sait nous plonger dans l’horreur : pensez à « Stabat mater furiosa » en 2008, ou les marionnettes marionnettophages des « Trois vieilles » de 2111. Mais il met aussi en valeur les spectacles destinés aux plus jeunes, et susceptibles d’en faire des spectateurs avertis plus tard.  
Claudine van Beneden et Angeline Bouille
 préparent leur hivernage sous la neige d'hiver.
Le premier spectacle du festival a eu lieu devant des enfants de la Maternelle de l’école Ramon, au centre social Saint-Crépin. « 1, 2, 3, 4 saisons » part de l’œuvre de Vivaldi pour suivre, en musique et comptines, le cycle des saisons. Plus qu’un charmant spectacle, il a mis son petit public sous le charme. Claudine van Beneden et Angeline Bouille rayonnaient d’amabilité, tout en se permettant bien des touches de malice. Les mimiques de Claudine cherchant à attraper une mouche qui l’agaçait, ou les petits coups de bâtons échangés en musique – l’arrière-train de chacune produisant un son différent – ont bien fait rire, alors qu’un orage a fait peur a certains.
    Le festival permet ainsi aux plus jeunes de voir devant eux des personnes qui jouent. « Je te fais un cadeau » dit un garçonnet après le spectacle. Apparemment il n’en avait pas entre les mains, mais voulait dire combien il avait aimé. Il n’aurait pas pensé l’offrir à un écran de télévision.
L'Union



02/05/2014

Claude Lapp : ne laisser personne au bord de la route

Photo : famille Lapp
Claude Lapp, proviseur du lycée Gérard de Nerval de 1997 à 2005, est décédé le 28 avril dans l’unité de Soins palliatifs de l’hôpital de Soissons.
    Il est né à Reims en 1945, où son père alsacien et sa mère soissonnaise tenaient une brasserie-salon de coiffure avant de s’installer à Soissons. Il a été élève à l’école Saint Georges et au Petit séminaire, puis
a continué à Saint Quentin et Vittel, avant de faire ses Lettres classiques à Nancy.
    Son premier poste était dans un collège de Vittel puis, avec son épouse Marie-Thérèse et leurs deux filles, il est revenu à Soissons, professeur de français au lycée Nerval.
    En 1986, c’est le changement. Il est devenu principal de collège à Charly-sur-Marne, puis proviseur du lycée Julie Daubié à Laon, avant de rejoindre Nerval en tant que proviseur. Autant qu’enseigner, il se plaisait à veiller à harmoniser la communauté tripartite d’élèves, enseignants et administration.
    Le respect était une valeur essentielle. A chaque pré-rentrée il s’adressait aux enseignants : « Ne vous laissez pas manquer de respect par un élève ; mais ne manquez jamais de respect à son égard. »
    Après ce profond engagement professionnel – « il était au lycée douze heures par jour » selon son épouse – il a pu s’investir autrement à la retraite, toujours en « honnête homme » mû par une passion : se comporter de façon juste. Il a travaillé pour l’Odes, a été vice-président de l’Apei, et bénévole à « VO en Soissonnais ».
    Sa volonté de « ne laisser personne au bord du chemin » a été saluée quand il a reçu l’Ordre national du mérite en 2008.
    Homme de lettres, il écrivait, notamment « Mon pays le Soissonnais » avec l’aquarelliste Claude Dupin. Discret, il avait pourtant le sourire facétieux et le tutoiement facile. Dans un groupe où chacun devait présenter son « livre de chevet », Claude Lapp s’amusait à imaginer un recours pour l’insomniaque de chaque siècle. 19e ? Baudelaire, bien sûr ; 20e ? Proust, qui d’autre ? Sa culture était vaste, mais sans emphase.
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